Lettres à Salvatore Satta

 

UNE AMITIÉ PROFONDE UNISSAIT LES DEUX HOMMES ; Capograssi était né en 1889, Satta en 1902, mais la proximité n’en souffrait pas. Sans doute avons-nous, avec ces deux noms, ce qui s’est pensé et écrit de plus haut dans le siècle en Italie, et pas seulement dans l’ordre du droit, pour l’un, et de la philosophie du droit, pour l’autre. De plus haut, et en même temps de plus discret, si puissante soit la pensée à l’œuvre — pour ne prendre que ces deux exemples, dans l’Introduction à la vie éthique de Capograssi, ou dans le De Profundis de Satta. Nous avons présenté ailleurs les deux amis, à maintes reprises, soit dans Conférence, soit dans les livres que les Éditions de la revue Conférence ont publiés de l’un et de l’autre (1). Il est donc inutile d’y revenir. Si d’aventure l’extraordinaire capacité d’effacement de Capograssi risquait décidément de le faire disparaître aux yeux du lecteur, les travaux sur son œuvre — italiens et allemands, notamment — ne manquent pas ; et pas davantage, les remarques profondes et comme en passant dont

 

Salvatore Satta, à son sujet, n’a cessé d’émailler sa propre et singulière entreprise éditoriale, les six volumes des Quaderni del diritto e del processo civile (Padoue, Cedam, 1969-1973), qu’il nourrit à peu près seul.

Sans doute les deux amis firent-ils connaissance en 1938, quand ils étaient collègues à l’université de Macerata. Malheureusement, leurs lettres antérieures à 1946 ont disparu. Et la correspondance se réduit, à l’exception d’une seule lettre de Satta, aux cartes postales (le plus souvent) que Capograssi a envoyées. Giuseppe Capograssi s’est éteint le 23 avril 1956; Salvatore Satta, le 19 avril 1975: son épouse, Laura Boschian, les a confiées à Francesco Mercadante à la fin des années 1970. Celui-ci les a retranscrites, en a fait imprimer quelques exemplaires, qu’il a distribués à ses amis lors du colloque consacré en 2002 à Salvatore Satta, en Sardaigne, à Nuoro. Il nous en remit copie il y a quelques années, tandis que Luigi Satta nous confiait la photographie des manuscrits. Qu’ils en soient remerciés l’un et l’autre.

Quelques lettres, trop difficiles à déchiffrer (Capograssi présente fréquemment ses excuses à son correspondant à cet égard), n’ont pu être retranscrites. Mais l’essentiel est là, soit ces 51 courtes missives. — Un dernier mot : jamais Capograssi ne se regarde écrire (Satta avait noté, du reste, que dans toute son œuvre de philosophe, on ne trouve jamais le pronom « je »). Pas plus dans ses livres que dans ses lettres ; il est assez rare d’atteindre une telle simplicité — d’où suit cette impression tout aussi rare de désencombrement, de justesse, de profondeur, sans la moindre pose. Mettons que ce soit — à nos yeux — le signe des plus grands — faut-il dire « écrivains » ? Peu importe. Un bel tacer non fu mai scritto.

C. C. 

1 Voir Conférence, numéros 34, 35 et 37 ; Salvatore Satta, De Profundis, 2012 ; Giuseppe Capograssi, Introduction à la vie éthique, 2012 ; Incertitudes sur l’individu, 2013 ; Réflexions sur l’autorité et sa crise, 2013 ; Analyse de l’expérience commune, 2013 ; Essai sur l’État, 2014. Les deux textes les plus développés de S. Satta sur G. Capograssi, figurent, pour l’un, dans l’Introduction à la vie éthique, pp. 245-263 ; pour l’autre, dans l’Analyse de l’expérience commune, pp. 247-268