Mon premier procès


 

À la mémoire de mon ami Sandro Policreti,
qui assista à ce procès
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J’AI PLAIDÉ MA PREMIÈRE CAUSE PÉNALE IL Y A QUARANTE ANS, devant un tribunal extraordinaire de guerre, convoqué (comme le voulait alors l’article 559 du code pénal des armées du 28 novembre 1869) pour « donner, dans l’intérêt de la discipline, un exemple expéditif de justice militaire ». Je ne peux pas dire que j’aie fait de brillants débuts : cela concerne moins les accusés que le défenseur que j’étais, qui a failli être cité en justice à son tour pour les avoir défendus de cette façon. Aujourd’hui, je peux le raconter, parce qu’il y a longtemps que j’ai passé l’âge d’être déféré devant un tribunal militaire (et quarante ans après, il y aurait prescription).

C’était dans l’été 1916, non loin du col de Pian delle Fugazze, à l’ombre du Pasubio. J’étais sous-lieutenant d’infanterie dans l’un des régiments qu’on avait alors improvisés sous l’appellation assez ambiguë de « milice territoriale à pied » ; des formations de vétérans, encadrées par de jeunes officiers, qui étaient envoyées au front pour « garnir » les secondes lignes, comme on disait élégamment, dans les zones que le commandement supérieur croyait tranquilles.

Nous fûmes envoyés en Vallarsa pour occuper la ligne de résistance entre les forts de Matassone et de Pozzacchio (à une dizaine de kilomètres de la première ligne, qui dominait Rovereto), et nous y restâmes quelques mois en toute tranquillité, comme si nous étions en vacances. C’étaient les premiers jours de mai ; un déserteur polonais s’était présenté devant nos lignes, et avait assuré que les Autrichiens préparaient une grande offensive justement dans ce secteur : nous vîmes donc arriver un matin, non sans causer une grande émotion chez notre colonel, une automobile du commandement en chef, de laquelle descendit, avec d’autres généraux, Luigi Cadorna. Enveloppés dans leurs capotes, ils gravirent une éminence, et regardèrent aux jumelles vers Rovereto ; ils repartirent aussitôt pleinement satisfaits, sûrs qu’aucune offensive n’était concevable dans cette zone : le déserteur polonais était certainement un agent provocateur, envoyé par l’ennemi pour induire en erreur notre commandement en chef, qui connaissait son affaire.


 

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