In memoriam Bernard d’Astorg (1921-2014).

 

Il est difficile de décrire tout ce qu’une rencontre eut de décisif ; ce qu’elle a apporté de foi dans la droiture, le silence, le sourire et l’exigence intérieure qui ne désarme pas. La rencontre de Bernard d’Astorg fut décisive ; elle le fut pour beaucoup, à commencer par ceux à qui nous devons de l’avoir connu. Ce fut un honneur de pouvoir publier, dans le numéro 36 de Conférence, les pages qu’il venait d’écrire sur sa déportation à Dora, « Warum », cédant à l’affectueuse et délicate sollicitation d’Aude de Saint-Loup.

Conférence.

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20181, Dora, gravé sur sa tombe.

Bernard d’Astorg est parti pour un autre transfert, le 13 septembre 2014 à 8h du matin. Celui-là, il s’y est préparé en homme accompli, à l’âge de 93 ans. Ce n’est pas l’Enfer qu’il rejoint cette fois, mais la Paix et le Salut des Justes, retrouvant ses amis de fortune et d’infortune, et d’abord son père, Joseph, assassiné à Bergen-Belsen après un court transit par Buchenwald puis Dora à l’état grabataire, suite aux tortures que la Gestapo, avertie sur dénonciation de son rôle majeur dans la Résistance, lui a fait subir dans la prison de Rouen. Au revier de Dora, Joseph d’Astorg réussit à faire prévenir son fils enfermé dans le tunnel et le miracle de la rencontre a eu lieu, par la volonté de l’un — et de l’autre qui a négocié sa remontée en surface contre sa piètre ration alimentaire. Joseph a pu dire à son fils : « Résister » ; Bernard l’a entendu et a résisté.

20181 est revenu, sans oublier. Bernard d’Astorg a construit sa vie et la vie autour de lui sans oublier ni cesser de résister.

Résister à ce qui est mortifère (Warum), à ce qui empêche de vivre et de s’accomplir sans nuire, à la haine et à la vengeance, à la mort et à la vie vaines, c’est la même chose, à la trahison de soi-même.

Résister pour accueillir, réconcilier, ouvrir les possibles, d’une écoute attentive pour comprendre d’autres itinéraires, suivre les mouvements du monde et espérer ainsi toujours.

Militaire et chrétien, il se portait garant de certaines valeurs consolidées par son expérience particulière qui le libérait des prêt-à-penser ou trompe-l’œil, et travailla de l’intérieur pour la paix, le bien de ses proches, de ses hommes et de tous ceux qui le rencontraient. Il s’est vu reprocher de n’être pas du « sérail » politique et hiérarchique, il n’eut donc pas ses deux étoiles supplémentaires en aboutissement de carrière et post-carrière. Il a ainsi gagné la meilleure des étoiles, celle de l’intégrité et l’insoumission justifiée. Garder sans crainte un idéal de tendresse, avoir peu de principes mais ne jamais manquer à ceux que l’on a adoptés : avoir son honneur, il a donné tout leur sens à ces mots d’un autre que le tunnel a englouti.

Cœur immense qui s’est arrêté de battre mais continue de le faire en nous.

Le père Arturo Muino Fonticoba, averti le même matin par l’un de ses fils et présent aux obsèques en Normandie, s’adressa d’une voix forte de foi, à son ami, « des généraux, le meilleur », et l’embrassa. C’est un général qu’on embrassait volontiers.

Le 2e mouvement du concert pour clarinette en la majeur de Mozart, son préféré, accompagna doucement son dernier chemin ici-bas, s’achevant dans un petit cimetière de campagne.

Par plaisanterie, Bernard se déclarait être un champion, le meilleur, ce qui lui a valu un joyeux poster familial de Peanuts accroché dans son bureau. Champion de modestie et de pudeur; d’humanisme et d’ouverture; d’espérance et de résistance ; champion toujours aimant. Il continue d’éclairer nos voies qu’il a transformées, montrant comment ne pas céder à la peur (lui qui la connaissait si bien) et aux artifices, il demeure tout en retrouvant enfin ceux qui lui étaient chers et bien d’autres dont il a croisé l’histoire indirectement. Que la paix soit avec lui, béni soit-il.

Aude de Saint-Loup.