L’AUTORITÉ, MODE D’EMPLOI

 

LA CRISE DES FORMES TRADITIONNELLES D’AUTORITÉ — au sein de la famille, de l’école, de l’église, en politique — est une évidence de bon sens qui risque de devenir un insupportable lieu commun : quelque chose dont il n’est plus possible de parler, parce qu’en parler équivaudrait à ne plus rien dire. Un peu comme les propos sur les demi-saisons, lesquelles, comme on sait, ont disparu : ils ne servent qu’à obtenir sans peine le consentement de l’interlocuteur. Le problème est de savoir si oublier ce genre de propos représente, en soi, une bonne idée. Ou si, au contraire, il n’est pas nécessaire de problématiser l’évidence (même la plus ennuyeuse), en se demandant, par exemple, en quoi consiste cette crise si manifeste : est-elle un passage obligé ? Quels en sont les coûts et les éventuels bénéfices ? Il s’agit évidemment de questions très vastes, qu’il ne sera pas possible de développer ici. Des questions qui méritent pourtant l’attention au regard de nos problèmes actuels. C’est d’aujourd’hui que je voudrais donc partir : de certains traits caractéristiques de notre présent

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1. Un présent fragile.

La fragilité est un des signes caractéristiques de notre époque. Tout, autour de nous, paraît fragile : les relations, les organisations, les institutions, les politiques, les individus, les familles, les rapports de travail, les conventions sociales. Presque rien ne semble aller de soi, tout nécessite au contraire d’être sans cesse mis à l’épreuve : en l’absence de solidité, tout doit se démontrer, démontrer sa permanence et sa validité.

Tout nécessite des confirmations incessantes dans la mesure où — d’un côté — les moeurs n’offrent plus de représentations tirant leur autorité de l’expérience et de l’action, et — de l’autre — où rien n’est réellement choisi et voulu, mais se contente d’être supposé bon jusqu’à preuve du contraire. La culture de notre époque tend à décourager les choix qui engagent la liberté, par l’offre d’une multiplicité de choix possibles dans lesquels il est loisible de puiser sans s’investir.