ALTITUDES (V)

 

Cairns.

 

QU’IL N’Y AIT PLUS AUCUNE TRACE, qu’on traverse un plan d’herbes à rocailles, les pentes instables d’éboulis ; ce long glacier encombré de moraines et dont les vagues grises de débris jouent à remplir les crevasses ; qu’on erre dans le brouillard près d’une cime ; que l’itinéraire aboli laisse le choix d’une fausse route… des mains ont remué, empilé en vrac des pierres ; ou sur le dos bossu d’un bloc ont agencé, pur équilibre, quelque sculpture acrobatique. Stèles non taillées, ni gravées. Reliefs non géologiques. La rigueur d’un esprit les ordonne. Leur message ne varie pas : ici — le passage que tu cherches ; ne t’engage pas vers d’autres bords.

Coniques, aigus, petits monolithes ; pierres montées en pyramides sur un socle ajouré ; créant des figures aux lignes verticales, tabulaires, obliques, les cairns font signe dans la montagne — sans la flétrir : c’est le granit même du lieu, le gris du gneiss, la roche roussie par la foudre… Repères caducs, ils ne se pétrifient pas : l’érosion et l’intempérie les malmènent, et le grimpeur pressé, une fuite farouche de chamois : « Randonneur, consolide, élargis leur base ; ajoute un grain de roc sommital ! »