L’EXERCICE DE LA LECTURE

à Françoise Hanus.

 

Avant-propos.



JE TÂCHE DANS CE QUI SUIT de décrire une certaine modalité de la lecture — j’entends par là l’acte de lire, au sens strict, ainsi que la compréhension du texte qui en résulte — liée à la pratique de la philosophie, tant sous la forme de l’écriture philosophique que sous celle de l’enseignement, de la conférence ou du séminaire, engageant, chacune, un rapport spécifique au langage et un usage particulier de la langue. Je ne parlerai pas de la lecture en général, mais uniquement de celle qui, pour moi, est inséparable de l’exercice de la pensée — de la lecture, donc, des textes que l’on dit philosophiques et peut-être de quelques autres, connexes aux premiers.

Il ne s’agit en aucun cas de proposer une méthode de lecture, de prétendre indiquer à d’autres un mode de cheminement dans les textes qui permettrait par exemple d’y avancer avec davantage de sûreté. Je ne suis tout d’abord pas certain d’en être capable et mon expérience d’enseignement me rappelle quotidiennement qu’il ne saurait y avoir de « pédagogie» que là où les méthodes sont tenues pour ce qu’elles sont : des moyens, des outils certes, maisaussi des visions du monde et des métaphysiques [1] qu’il importe de ne jamais prendre pour des savoirs et auxquelles il ne convient pas de se fier aveuglément.


[1] « Mais, ne proposant cet écrit que comme une histoire, ou, si vous l’aimez mieux, que comme une fable… », écrit Descartes au début de son Discours de la méthode.



 
  • mai 2007
    • LE MOI ET LA LECTURE. Le portrait d’Augustin par Pétrarque Brian Stock

      DANS l’Antiquité tardive et au Moyen Âge, le développement de pratiques contemplatives orientées par les textes signifiait que l’on considérait l’activité de lecture comme une technique permettant d’atteindre l’idéal philosophique classique de l’amélioration de soi-même. Durant des siècles, on a donc vu dans la lecture un moyen au service d’une fin, plus qu’une fin en soi, même si le lecteur pouvait évidemment tirer des informations de sa confrontation avec le texte, et y trouver l’occasion d’une édification ou tout simplement d’un plaisir. Pétrarque, à la fin du Moyen Âge, s’est inscrit dans cette forme de...

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    • CES LIVRES QUE NOUS NE LIRONS PAS. (Propos sur l’inachèvement) François Debluë

      NOUS avons peut-être chez nous plus de livres que la vie ne nous laissera le temps d’en lire. Que penser de ceux que nous ne lirons pas ? De ceux que nous voudrions relire ? De ceux que nous rêverions d’écrire ? * Lire est un privilège. Lire est une liberté. Avouons-le : il y a quelque chose de « luxueux », et de parfois malaisé à se tenir dans un monde de livres et de mots pour parler de livres et de mots, tandis que se déchaînent sans répit haines, violences et souffrances dans le monde. Ce luxe n’est du moins pas richesse mal acquise : les livres et les mots nous sont un bien commun, un...

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    • DANS L’ABBAYE Maurice Chappaz

      L’ŒIL bleu de mon oncle me fixe. Je suis un étudiant errant avec des séjours à l’armée. Nous sommes face à face, chacun le dos appuyé à une poutre, à nos pieds une petite bonbonne d’eau-de-vie montée de ses vignes non loin d’une voûte de châtaigniers avec un fil d’ombre, qui me semble se glisser sous le toit aussi obscur de l’Abbaye. L’éternité se passe dans une gare… La bouche du Président, de l’Oncle du pays s’éclaircit, s’ouvre, mâche, jette : « Qu’est-ce qu’une vie ? Les Arabes disent : une maison, un fils, un livre. » * J’arrive, j’arrive ! c’est un cri vers le ciel. Des lettres...

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    • L’ABBAYE DE MAURICE CHAPPAZ Christophe Carraud

      ILfaut ici quelques explications. Nous sommes dans le Valais. L’Abbaye, ce fut jadis la résidence d’été des évêques de Saint-Maurice, au Châble, dans le val de Bagnes, la vallée qui s’ouvre à l’est lorsqu’on vient de Martigny et qu’on a laissé plein sud celle qui mène au Grand Saint-Bernard et qui s’appelle le val d’Entremont. La famille Troillet acheta la vieille demeure-forteresse auXIXesiècle, et celui que Chappaz appelle l’Oncle dans les pages qu’on va lire comme dans tant d’autres qu’il a écrites, c’est Maurice Troillet. Il y vécut avec ses sœurs. On voit aussi passer beaucoup d’autres...

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    • LIVRES ET BIBLIOTHÈQUES Giuseppe Pontiggia

      Acutissimo Philippo librorum cultori. NOUSprésentons sous ce titre un ensemble de pages de Giuseppe Pontiggia réunies ici par le seul caprice du traducteur. Choix nécessairement orienté, et donc discutable. C’est le privilège d’une revue — un privilège qui se manifeste tout particulièrement dans le cas des traductions et dans celui des œuvres closes désormais — que de donner aux livres existants de paraître sous une autre guise, et de suivre ainsi l’allure de la lecture quand elle ne sait pas encore quelle pensée s’organise en elle. Du moins veut-elle à sa façon, qui n’est rien de matériel, remonter...

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  • novembre 2007
    • LES CLASSIQUES À LA PREMIÈRE PERSONNE Giuseppe Pontiggia

      Prologue.   LA définition de « classique », comme celle de « maître », fait toujours naître quelque inquiétude. On a tendance, en Ita-lie, à promouvoir les morts au rang de maîtres, on y regrette en chœur les maîtres du passé — un regret sur lequel je me suis penché dans mon dernier livre2. D’abord, la dénomination de « maître » ne me convainc pas, et puis je n’ai pas envie de partager ce regret. Des maîtres, j’en ai connu : j’ai grandi à l’école d’Ances-chi, et j’ai eu avec lui des rencontres, des rapports parfois très durs. On apprenait beaucoup, c’est sûr, mais cette auréole de sain-teté, cette perfection absolue...

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    • LE REFOULEMENT DES CLASSIQUES Giuseppe Pontiggia

        La permanence du Classique : le titre choisi par le Centre d’études du département de philologie classique et médiévale de l’Université de Bologne me semble exemplaire8. Il manifeste et dissimule à la fois son caractère problématique et changeant. Il me rappelle ces images trompeuses qui font découvrir dans un même profil les contours de deux visages, ou de deux verres à pied. Il suffit de modifier l’accommodation du regard. D’un côté, la permanence semble s’imposer comme une roche basaltique dans un paysage de geysers intermittents, de l’autre elle paraît se donner comme une survivance précaire, une...

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    • LIRE AU MOYEN ÂGE Armando Petrucci

        1. Les mille ans couverts par le Moyen Âge constituent une période particulièrement importante pour une recherche litté-raire conçue comme étude des techniques et des comporte-ments, individuels ou collectifs, dans leur relation avec l’acte de lire considéré sous l’aspect psychophysique, culturel et social1. Pendant le Moyen Âge, en effet, les modalités et les conditions de lecture traditionnelles dans l’Antiquité tardive connaissent des transformations radicales. Cette époque voit également se former et se diffuser des façons de lire qui deviendront celles de l’époque moderne, marquée par l’imprimerie...

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  • août 2008
    • LIRE, ÉCRIRE, PARLER Pierre Chappuis

      CONFÉRENCE, N°26, Printemps 2008 PIERRE CHAPPUIS.   Une loggia, un lieu ouvert. I. « Je ne peux pas, non, je ne peux pas m’enfermer comme ça dans un livre pendant des heures.» Se prenant tout de go la tête à deux mains pour la serrer comme dans un étau, ce jeune homme à qui j’étais censé donner le goût de la lecture, comment, par son refus exprimé avec une telle vivacité, put-il éveiller en moi, secrètement, un élan de sympathie ? Tant de choses, heureuses ou non, de menus événements, tant de sollicitations par quoi, même n’y prenant pas garde, on se sent rattaché à l’existence et qu’il faudrait tenir à l’écart,...

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    • LECTURE POUR TOUS Coluccio Salutati

          EST-CEen 1385 ? Coluccio Salutati écrit une lettre à un homme qu’il ne connaît pas, Iacopo Tederisi, pour le remercier de lui avoir fait tenir un livre d’Augustin, leDe vero cultu (De vera religione)[1]. Il se joue beaucoup de choses dans cette lettre, comme si souvent. Je vais y venir (quelques mots suffiront, les premières étapes déjà franchies). Mais d’abord, la voici : Vénérable père, maître éminent, Monsieur Gaspar de Città di Castello, juriste distingué, m’a rapporté avec quelle générosité vous lui avez confié à mon intention le livre d’Augustin intitulé De vero cultu, alors que je...

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  • décembre 2012
    • L’ÉPOQUE DES MOTS JETABLES David Gelernter

        (Traduit de l’anglais [États-Unis] par Christophe Carraud.)   PARCE QUE LES MOTS NOUS RENDENT HUMAINS, parce que les mots sont le matériau brut avec lequel nous bâtissons la communication, la littérature, et parfois même la pensée, nous devons naturellement en prendre soin et les traiter avec respect. [1] C’est finalement la dignité des mots qui garantit le sérieux de la société occidentale — qui garantit que nous pensons ce que nous disons, que nous ne sommes pas en train de parler avec cynisme, ni par jeu, ni simplement pour nous écouter parler. La dignité du mot a subi de nombreuses...

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    • L’EXERCICE DE LA LECTURE Gilles Hanus

      à Françoise Hanus.   Avant-propos. JE TÂCHE DANS CE QUI SUIT de décrire une certaine modalité de la lecture — j’entends par là l’acte de lire, au sens strict, ainsi que la compréhension du texte qui en résulte — liée à la pratique de la philosophie, tant sous la forme de l’écriture philosophique que sous celle de l’enseignement, de la conférence ou du séminaire, engageant, chacune, un rapport spécifique au langage et un usage particulier de la langue. Je ne parlerai pas de la lecture en général, mais uniquement de celle qui, pour moi, est inséparable de l’exercice de la pensée — de la lecture, donc,...

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    • LIRE ET APPRENDRE Iris Origo

        (Traduit de l’anglais par Pierre Dupont.)   … Tels les pins gardent la forme du vent même quand le vent a fui et n’est plus ainsi les mots gardent la forme de l’homme. QUE SIGNIFIE ÊTRE SEUL [1] ? Rummer Godden [2] est d’avis que du jour où un enfant a appris à lire, plus jamais il ne le sera. « En apprenant à lire », dit-elle à sa fille, « tu renaîtras et c’est dommage de renaître si jeune. Dès que tu auras appris à lire, tu ne verras plus aucune chose telle qu’elle est. Elle sera toujours altérée et tu ne seras plus jamais vraiment seule ». Je pense qu’il y a une part de vérité dans ce propos,...

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