LE POUVOIR DE RECONSTRUCTION DU « LANGAGE DE LA LIBERTÉ » DE PIERO CALAMANDREI

(Traduit de l’anglais par Philippe Blanc.)

 

LE TEXTE qu’on va lire a été rédigé pour être prononcé lors
de la cérémonie solennelle de réouverture de l’Université
le 15 septembre 1944 — quelques semaines après la libération
de Florence. Il a été conçu également comme un discours
inaugural dans lequel Piero Calamandrei, connu à Florence et en
Italie comme un « grand juriste » expert en droit procédural et
comme antifasciste, prenait ses fonctions de nouveau recteur de
l’Université de Florence. Il avait été nommé à ce poste quelques
semaines après que Mussolini avait été chassé du pouvoir, le 25
juillet 1943, mais l’armée hitlérienne avait aussitôt occupé le nord
et le centre de l’Italie, Florence comprise, et un mandat d’arrêt
avait été émis à son encontre par la Gestapo. Calamandrei avait
alors quitté la ville et s’était caché pendant neuf mois en Ombrie,
dans une maison d’été appartenant à des proches. Après la libération
de Florence, il était rentré de Rome à bord d’une jeep des
Alliés, premier moyen de transport à peu près sûr qui se soit
offert à lui. Il arriva à Florence le 29 août 1944, quelques jours seulement
avant le déroulement de la cérémonie. Il s’agit de son premier
grand discours public après son retour, encore qu’il ait été
précédé d’un bref article significatif, Storia non cronaca. On lit
aujourd’hui ce « Retour », réponse quasi immédiate de l’écrivain
aux événements historiques de Florence à la fin de l’été 1944, surtout
comme un exemple de rhétorique politique, et comme l’un
des textes sur la Résistance qui ont marqué la « naissance » de
Piero Calamandrei comme « écrivain politique ».

Il n’y avait alors en Italie pratiquement plus de discours politique
d’inspiration démocratique, après deux décennies de fascisme.
Calamandrei a voulu donner forme à un nouveau langage
politique, pertinent, efficace et utile aux forces antifascistes et
démocrates au moment de la libération de Florence, et préciser la
signification de la « bataille de Florence », qu’il considère
« comme une période décisive » dans l’histoire de sa ville et de sa
« patrie ». Il s’efforce de « situer » les événements de Florence
dans un contexte plus large, national et international, et de suggérer
que ces mêmes événements sont la première manifestation
d’un processus appelé à servir de modèle à la reconstruction
d’une démocratie en Italie.