LYRISME ET DISSONANCE (III)

 

Il se croit poète parce qu’il procède par allusions.

Il est tout simplement confus.

 

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De ce jeune auteur, on entend dire : « C’est un écrivain qui monte ».

Cela se dit aussi d’une salade, et l’on sait qu’elle sera bientôt impropre à la consommation.

 

Il ne s’agit pas de « monter » — ce qui est affaire de société, de rang, de concurrence, de succès et de pouvoir.
Il s’agit de descendre en soi.

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Bonheur, par moments, de tenir une plume entre ses doigts, simplement, de tracer quelques signes ; bien-être physique de parcourir ainsi quelques lignes — sans avoir trop trahi ce que l’on souhaitait exprimer.

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Le théoricien est redevable aux théoriciens, le critique aux autres critiques. Les seconds demandent des comptes aux premiers : aussi se regardent-ils les uns les autres en chiens de faïence — et féroces !

 

Le poète, lui, n’est redevable qu’aux hommes — à ceux d’entre eux qui veulent bien faire un bout de chemin avec lui.

À lui la plus grande liberté ; à lui aussi les plus beaux risques.

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Certains ne se mettent à écrire que du jour où ils se savent condamnés.

On leur dit : « Il vous reste six mois à vivre, cinq mois, quatre mois… »

C’est parfois un peu tard.

Menacés, condamnés, ils l’étaient de tout temps. Ils n’avaient cependant ni la volonté ni le courage, ni peut-être le désir de s’en aviser. L’issue était sûre, mais le délai incertain.

 

Maintenant que l’échéance se précise, ils s’éveillent soudain, et se mettent au plus urgent, au plus difficile: à leur travail de poète, à leur travail de témoin du Temps.

Quand le Temps, comme jamais, leur est compté.

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En moi, si souvent, cette peur d’écrire — et ces fuites.

En moi, si souvent, ce besoin d’écrire — cette hantise.

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Sur le bigot, le religieux a l’avantage qu’a le mystique sur le moralisateur — qui est un peu l’avantage du poète sur le comptable.

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