SUR LA DIVINITÉ DU FILS ET DE L’ESPRIT ET SUR ABRAHAM

 

 

Traduction par Matthieu Cassin


Présentation.

 

GRÉGOIRE, évêque de Nysse en Cappadoce à la fin du IVe siècle , eut l’occasion de prendre la parole en bien d’autres lieux que dans la petite ville dont il était évêque. Plusieurs de ses discours furent prononcés à Constantinople, souvent à la demande de la famille impériale ; celui que nous traduisons ici a été donné en cette ville, en une occasion un peu particulière toutefois. En effet, en juin 383, l’empereur Théodose fit réunir les représentants des principaux courants de l’Église, l’évêque Nectaire de Constantinople, mais aussi les chefs des principaux courants dissidents, d’où le nom de « synode des hérésies » qui est généralement donné à cette rencontre. Chaque parti devait présenter une confession de foi : l’empereur n’approuva que celle qui confirmait la foi définie aux conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381) et rejeta les autres ; l’une des confessions de foi a pourtant été conservée, celle d’Eunome de Cyzique, que réfuta ensuite Grégoire de Nysse. Or un élément du discours de Grégoire Sur la divinité du Fils et de l’Esprit permet de préciser assez exactement sa date : l’auteur mentionne en effet quatre luminaires royaux qui illuminent la terre, dont un père et son fils. Cette description correspond à la situation impériale entre janvier et août 383 — de l’institution d’Arcadius comme Auguste par son père Théodose jusqu’à l’assassinat de Gratien. Plusieurs autres éléments du discours, en particulier liturgiques, permettent de préciser encore davantage sa date et de situer la prise de parole de Grégoire aux environs de la Pentecôte 383, soit juste avant le synode, généralement placé en juin 383. Ce discours se présente donc comme une prise de position publique de l’un des représentants influents du parti majoritaire, juste avant les débats prévus entre les différents groupes lors de cette réunion religieuse convoquée par le pouvoir impérial ; Grégoire cherche visiblement à rappeler les enjeux ecclésiaux, à convaincre du bien-fondé de sa position théologique, mais aussi à faire peur, à susciter les émotions de l’auditoire contre ses adversaires.

Voici, en quelques mots, le contenu de ce discours, relativement complexe : il s’ouvre par un assez long exorde, bâti autour de quatre images qui conduisent peu à peu les auditeurs au sujet retenu. Le corps du texte se partage en deux parties d’inégale longueur, dont la première porte sur la divinité du Fils, égal au Père, la seconde, sur la divinité de l’Esprit, égal au Père et au Fils. Le premier mouvement, de beaucoup le plus long, part d’un texte biblique lu la veille (Ac 17, 16-34), le célèbre discours de Paul sur la colline de l’Aréopage, et l’applique aux adversaires principaux, les disciples d’Eunome : Grégoire réduit ces derniers à la position des athées par excellence que sont les épicuriens. Puis l’auteur développe plus directement le point doctrinal en question, en réfutant la position des adversaires qui tenaient que le Fils est inférieur au Père. Il annonce alors qu’il va à la fois apporter une preuve supplémentaire et relâcher la concision qu’il avait jusque-là imposée à son discours ; il introduit ainsi un long développement consacré au sacrifice d’Isaac, narration couronnée par la description d’une représentation figurée de cet épisode biblique. Ce très long récit trouve son explication dans les paroles qui le concluent et permettent à Grégoire de ramener l’auditoire à la question de l’égalité du Père et du Fils. La seconde partie du discours est liée à ce qui précède par la reprise de l’une des images de l’exorde, celle du vin nouveau qui fait éclater les vieilles outres (Mt 9, 17) ; la démonstration de l’égale divinité de l’Esprit s’appuie d’abord sur une réflexion sur l’un des noms de Dieu, en l’occurrence le mot grec pour « dieu », θεόςRapproché de l’un des verbes désignant l’action de voir, ϴϵάομαι, il permet à Grégoire de rappeler qu’aucun nom ne désigne proprement la nature divine : seules les activités de Dieu sont décrites par le langage humain. Ce second mouvement se clôt sur un autre exemple emprunté aux Actes des Apôtres, la découverte par Pierre de la fraude d’Ananie et Saphire (Ac 5, 1-6). Le discours se termine alors assez abruptement par une très brève doxologie, qui tient lieu de conclusion.