SUR UN PAYSAGE DE NICOLAS POUSSIN

 

 

LE nom de William Hazlitt (1778-1830) est, aujourd’hui encore, à peine connu en France. Aucune pourtant, parmi les grandes figures du romantisme anglais, n’a aimé la France au même degré. Aucune n’a vibré avec le même enthousiasme pour les victoires des armées napoléoniennes, dépositaires à ses yeux du legs de la Révolution et vouées à la cause d’une liberté restée sans écho dans l’Angleterre de son temps.

Hazlitt doit d’ailleurs à cette passion républicaine la place marginale qu’il a occupée à Londres, à la fois comme critique dramatique et comme journaliste politique, dans les années qui suivirent la chute de l’Empire. La notoriété du critique, acquise avec la publication des Characters of Shakespear’s Plays en 1817, a durablement souffert des attaques et des détestations provoquées par ses prises de position libérales dans les jour-naux du temps. Les polémiques suscitées par son nom l’ont conduit, en dépit d’amitiés constantes, comme celles de Charles Lamb et de Leigh Hunt, à vivre par intervalles dans la solitude qui convenait à son intransigeance, au point de rendre inacces-sibles au biographe plusieurs années de sa vie.

La même passion l’a fait renier ses relations anciennes avec Wordsworth et surtout Coleridge, l’éblouissement de sa ving-tième année, aussitôt constatée leur adhésion à la cause réac-tionnaire. C’était trahir, selon lui, l’enthousiasme initial pour les événements de 1789 et se plier au « barefaced power » avant même d’avoir combattu. Désarmé, Coleridge devait se souvenir d’Hazlitt comme du seul homme qui l’eût véritablement connu.

En France, Hazlitt plaçait au-dessus de tout le Louvre, qu’il avait découvert en 1802, au lendemain de la paix d’Amiens, alors qu’il se destinait encore au métier de peintre. Il y avait copié les maîtres anciens. Il y voyait l’école publique où former le goût d’une nation pour les choses de l’art, une école sans équivalent dans l’Angleterre des grandes fortunes privées. Empêché pendant plusieurs années de retraverser la Manche du fait des guerres de l’Empire puis de son manque de res-sources, il rêve, dans ses moments de désespoir, que le Louvre est détruit, que les tableaux qu’il a aimés ont disparu ou se sont effacés. Revenu en France en 1824, lors d’un séjour qui lui permettra de rencontrer Stendhal, il consacre ses premiers moments à la Grande Galerie, s’étonne de retrouver le musée dans un état si proche de son souvenir. La vue des Poussin du premier d’entre eux ce jour-là, un tableau dans lequel on peut reconnaître la copie du Paysage avec les funérailles de Phocion — lui arrache des larmes, avant de le transporter, deux heures durant, dans « un état de joie extrême ». Péda-gogue qui rêve de transmettre la vocation qu’il n’a pas soute-nue, il est encore au Louvre avec son fils en 1826, lors de son dernier séjour à Paris, au cours duquel il entreprend la rédac-tion des quatre volumes de sa Vie de Napoléon.

 

Télecharger l'intégralité de ce texte en PDF