SOUS ce titre, qui n’est pas de Pétrarque, nous traduisons les premières pages de son traité Du loisir religieux (De otio religioso) ; il fait suite à celui De la vie solitaire, rédigé un an auparavant (1346), et le complète souvent, — ou plutôt lui donne rétrospectivement l’assise d’une réflexion sur les notions de loisir, de vacance et de repos nécessaires à la fon-dation de « la vie solitaire ».
Au début de l’année 1347, Pétrarque rend visite à Gérard, son frère, chartreux à Montrieux. C’est à lui qu’il dédie son livre, et c’est en considération de son mode de vie, soumis à la clôture et au retrait monastiques, que ces pages prennent tout leur sens.
Qu’est-ce, au juste, que ce traité rempli d’exhortations, d’adresses à soi-même, d’invectives, où bien des tons et des pay-sages intérieurs se succèdent ? Rien d’autre qu’une méditation persévérante, rythmée, forcenée parfois, sur le célèbre verset du Psaume 45, « vacate et videte quoniam ego sum Deus », « Vaquez et voyez que je suis Dieu ». Tout cela forme un tissu d’une grande beauté, où s’entrelacent les thèmes des livres futurs, le Secretum, le De ignorantia : les assauts du monde, la corruption des mœurs, l’hésitation de l’âme, la présomption du savoir, la mort dévorante, l’inquiète sagesse du retrait ; — il y a là des pages splendides, dont le lecteur sent qu’elles enga-gent d’abord celui qui les écrit : qu’elles l’encouragent sur une voie qu’il sait au même moment ne pouvoir réellement emprun-ter. « Distance intérieure » toute pétrarquienne, et qui s’allie, par un curieux et émouvant mélange, à la plus sincère adhé-sion. Marque d’une situation nouvelle de la conscience, en ce début du quatorzième siècle, qui veut vivre et se libérer, s’allé-ger, mais de quoi ? elle ne le sait pas vraiment, et demeure soli-taire, en effet, avec son débat qui l’anime et la trouble. Pétrarque n’est resté qu’un jour et une nuit à la Chartreuse de Montrieux, qui n’est pour lui qu’un lieu idéal — signe étrange d’une sorte de mauvaise foi tout involontaire, d’une incertitude existentielle contemporaine pourtant de l’assurance des fins dernières.