LA NYMPHE ET LE MÉROU

 

(Journal d’un atelier d’écriture.)

 

11 mai 2007.

Vous arrivez ; mais, quand vous arrivez, le village est à peine plus que le nom qu’il portait sur la carte, l’instant d’avant. Il pro-pose un décor qui n’a pas d’épaisseur. Vous l’épiez et il le vous rend bien, causant l’inconfort (ou même le léger désarroi) que produit le sentiment d’être observé — mais on ne sait par qui. Vous vous souviendrez bientôt d’autres commencements de même farine ; et qu’il fallut qu’il en soit ainsi pour que le déchif-frement soit possible et que le verbe advienne. Mais, ce jour-là, la route tourne encore dans la tête et l’immense toison de sapins cache un mur, où tendaient, à la merci des passeurs, des vies menacées. Les chemins alors pouvaient ne mener nulle part ou pire encore… Et ce mur vous retranche de l’instant présent.

Sur la place carrée de Foncine-le-Haut, je cherche à renouer avec la netteté brouillée par les larmes de la pluie. Il y faut un peu de patience et une oreille en coin, pour que le bruit du monde me revienne. Et quand il me revient, le volume du son augmente : trois petits vieux couleur locale devisent, à côté de moi, une baguette de pain sous le bras. Leur accent me frappe, qui m’évoque celui de ma grand-mère maternelle. (Elle venait de L’Auberson.) Le pays ainsi se resserre, devient plus familier. Puis, soudain, sur l’étroit bandeau d’un écran, au-dessus de l’arrêt du bus (dont je présume l’existence à la présence d’ombres, qui sem-blent bien attendre sous l’abri), je prends conscience que mon nom défile en petits points rouges formant des lettres ; elles pas-sent lentement, dans un silence plus assourdissant qu’un appel au secours, avant de disparaître pour un temps. L’éternel retour du message favorise un dédoublement singulier de l’être : ainsi, si j’ai le sentiment de me rejoindre, je ne puis plus douter, non plus, que je suis attendu.

(…)

Je tente de voir l’école de la Chaux des Crotenay telle qu’elle est, ce qui s’avère difficile ; car je me suis exercé, tout au long du trajet, à ce détournement de l’apparence que j’entends mettre en œuvre ici (à la faveur d’une maïeutique élémentaire) dans l’espoir d’accoucher de jeunes esprits des images qu’ils contiennent sans le savoir.

 

 
  • mai 2009
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