RAVEL ET MALLARMÉ : POÉSIE ET MUSIQUE

  

1.

QUE peut-on apprendre sur la poésie et sur la musique en écoutant trois poèmes de Mallarmé : « Soupir », « Placet futile » et « Surgi de la croupe et du bond », et les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Ravel ? Nous savons qu’il impor-tait à Mallarmé de décider ce qu’est la poésie, quel rôle elle joue dans l’économie de l’être, ou du Néant, et qu’il cherchait sans cesse les moyens linguistiques et prosodiques de développer et de changer son possible. Ravel travaillait constamment les procédés de son art, en s’efforçant de trouver toujours du nouveau ; il criti-qua Massenet, par exemple, pour avoir écrit « tout ce qui lui pas-sait par la tête », en prenant pour des « trouvailles » ce qui n’était que des « réminiscences ». Mallarmé et Ravel, par la conscience très poussée qu’ils avaient de leur métier, au niveau fondamental du choix des mots et des sons, offrent une matière particulière-ment riche à qui veut réfléchir surtout sur les rapports entre poé-sie et musique, et notamment sur la « musique » de la poésie et la « poésie » de la musique. J’ajoute aussitôt qu’étant poète, je me sens bien plus habile à parler d’un côté de la question que de l’autre. Il est vrai que certains de mes poèmes ont été mis en musique ; il est vrai avant tout que la musique assurait, avec la poésie mais peut-être de manière plus souveraine, le passage chez moi de l’enfance à l’adolescence puis à la vraie jeunesse, et qu’elle remplit maintenant ma mémoire et m’accompagne chaque jour. Mais, sans formation musicale, je ne peux réagir, même si c’est avec tout mon être, qu’à ce que j’entends, et je sais que je ne capte pas tout ce qu’entend un musicien. Ravel affirma : « L’esthétique d’Edgar Allan Poe […] a été d’une singulière importance pour moi ainsi que l’immatérielle poésie de Mallarmé — visions illimi-tées mais de dessin précis […] », et l’exemple me paraît assez rare d’un musicien qui écoute, avec une telle attention et en vue de la pratique de son art, la leçon des poètes. Penser à Mallarmé en même temps que Ravel rappelle aussi, s’il en est besoin, que la poésie est également un art du son. On ne lit pas un poème, on l’écoute. Notre capacité de lire en silence plutôt qu’à haute voix, qui nous semble évidente, mais qui étonna saint Augustin quand il la rencontra chez saint Ambroise, est assurément d’une grande utilité, mais elle nous dessert devant la poésie, que le silence étouffe. Le poète et le musicien se rejoignent par l’importance qu’ils accordent à l’oreille, et gardent vivante, dans le monde de l’imprimerie puis dans celui de l’image, la vieille culture orale. Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure les romanciers se sentent concernés par cette distinction, ou si la réponse de Joyce à ceux qui ne comprenaient pas la Veillée de Finnegan : « Lisez-le à haute voix », est exceptionnelle, en rapport avec le caractère exceptionnel de ce livre.

 

 
  • mai 2009
    • LA CORRESPONDANCE IMPARFAITE Ian Jackson

        Traduit de l’anglais par Christophe Carraud.   IL y a quelque temps, nous recevions de Ian Jackson, libraire anti-quaire à Berkeley, un signe très heureux, sous la forme de trois volumes de grand goût, où se trouvaient reliées des feuilles de papier à lettres portant son en-tête : sur ces feuilles, au bas de chaque page, une citation, souvent annotée et commentée au verso. Manière d’anthologie personnelle, en somme, d’auteurs les plus divers réunis par un souci particulier de leur lecteur : rassembler sur son propre papier à lettres toutes les excuses qu’ils ont pu alléguer aux manquements ou aux...

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    • RAVEL ET MALLARMÉ : POÉSIE ET MUSIQUE Michael Edwards

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    • Haï-ku par-dessus tête Ulrike Kasper

      JEAN-LUC EVARD - ULRIKE KASPER     ange assoupi des immunitésd’eden d’eden laverge avide de néant     l’aber qui craque du seloù fouge l’essaimsuinte d’un miel d’oubli     pacage naseaux, mufles embués d’aube ausoleil encorné :lors mieux mugi mon haï ku     ormeau vent debout tu rebrousseschemin — tout trousséd’étincelles hérissons     falaise l’âcre jusant se retroussefoudre éperduede son gai désastre étreint     l’ongle d’ambre de mon chatclive de rougetoute lente peluche     cailles outre soi aspirées delàpar tire d’ailesbrefs brasiers brûlant rien     mufliers salut ferveur gueulée mauvede nos loups traquéspar le nom de leur...

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    • KEATS, OU L’ART DE VIVRE AU PRÉSENT Thibaud Zuppinger

        DANS les Odes de Keats, la lenteur est magnifiée, elle incarne le mouvement par excellence. Elle est le moyen d’accès à la dimension proprement poétique du monde. Rien, pas même la richesse signifiante dont elle se charge sans cesse, ne sau-rait la figer. Mais l’expérience qu’elle appelle invite non pas à se pro-jeter dans l’attente du futur, ni à évoluer dans un instant sans épais-seur psychique, ballotté de sollicitations en sollicitations, mais à vivre authentiquement dans l’épaisseur du présent avec tout ce cela peut comporter de danger, de perdition — et de richesses inouïes. Deux conditions sont...

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    • LETTRE DE LA POSTÉRITÉ À PÉTRARQUE Nicholas Mann

        Seuls les fantômes luttent avec les morts. (Pétrarque, qui cite Pline, qui cite Plancus.)   TU ne seras pas étonné d’avoir eu raison de dire, dans ta lettre à la postérité (tu l’avais rédigée dans les années 1350, puis reprise à la fin de ta vie) : « Vous aurez peut-être entendu parler de moi, quoiqu’il soit douteux qu’un nom aussi mince et obscur traverse le temps et l’espace. Et vous voudriez sans doute savoir quel homme je fus, et quel a été le sort de mes ouvrages, de ceux surtout dont vous aurez entendu parler, ou dont le nom, du moins, vous sera parvenu. » Mais cette feinte modestie ne...

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    • LA NYMPHE ET LE MÉROU Pierre-Alain Tâche

        (Journal d’un atelier d’écriture.)   11 mai 2007. Vous arrivez ; mais, quand vous arrivez, le village est à peine plus que le nom qu’il portait sur la carte, l’instant d’avant. Il pro-pose un décor qui n’a pas d’épaisseur. Vous l’épiez et il le vous rend bien, causant l’inconfort (ou même le léger désarroi) que produit le sentiment d’être observé — mais on ne sait par qui. Vous vous souviendrez bientôt d’autres commencements de même farine ; et qu’il fallut qu’il en soit ainsi pour que le déchif-frement soit possible et que le verbe advienne. Mais, ce jour-là, la route tourne encore dans la tête et...

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    • TOMBEAU DE ROBERT LE PETIT Pierre-Alain Tâche

        IL faut, à Brumath, en Alsace, aller dans la cour de l’Hôtel de Paris — qui vaut bien le vin d’une messe.   Ô vous n’y verrez rien, de prime abord, qui justifie le détour, sinon les suaves bonbons d’une pâle glycine ornant, l’espace mauve d’un avril, l’unique pied de vigne en espalier, dont les grappes seront, à la vendange, hors de portée et comme au firmament, où rit, sous un soleil d’après déluge, un patriarche aux traits convenus d’étiquette — et ce n’est, pour l’instant, qu’un haut dais de bois sec, où bourgeonnent des pleurs à venirdans l’air acide du petit matin.   Mais cessons là, car,...

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    • GRILLE D’OMBRES Florian Rodari

        PÉNÉTRER dans un paysage, avancer en déplaçant autour de soi – à chaque pas, sous la course des nuages – les arbres, les lisières, épouser courbes et vallons en se frayant des pas-sages, rebrousser chemin : à tout moment, de nouvelles équations se forment sous nos yeux, des croisées s’offrent où choisir équivaut à renverser la proposition, à accroître, à l’infini, les points de vue, les possibles. Nous nous croyons stables, faits d’une seule pièce, dirigés par une seule idée. C’est tout l’inverse. Le divers nous constitue, nous nous éparpillons. Nous pensons conduire la marche, mais, en...

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    • VILLES ET PAYSAGES Nicolas Poignon

                                 

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    • LYRISME ET DISSONANCE (II) François Debluë

        LE PLUS DIFFICILE, ce sera toujours d’atteindre à la simplicité (Mozart, Schubert, Nerval…). Les contorsions et les acrobaties ne sont que tristes cache-misère. * La plus haute simplicité est déconcertante, désar-mante. Elle nous dépouille de toute arme, à commencer par celles de l’analyse. Nous voici en présence de la beauté — d’une beauté qui s’offre à nous, nous rend à nous-mêmes, en même temps qu’elle nous dépasse. * Donner un cours académique sur la poésie devant un public académique, c’est parler d’oxygène dans un local mal aéré. * Mozart, Les Noces de Figaro. Le personnage de...

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