“PLANETA ” ET BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

DANS les vallées alpines, outre le costume traditionnel et le patois, les constructions contribuent à définir l’iden- tité villageoise. Le Val d’Hérens, en Valais, célèbre pour sa race de vaches lutteuses, expose sur ses versants des hameaux aux maisons brunies par le soleil, frileusement regroupées au cœur de terres agricoles dont elles semblent surgies. C’est l’em- blème touristique par excellence, au point que les photographes excluent les constructions récentes qui pourraient nuire à l’image traditionnelle devenue cliché. Mais avant d’être une valeur touristique, les maisons rurales constituaient le cadre de la vie quotidienne des familles paysannes. Elles répondaient aux besoins des habitants, économes de l’espace par nécessité, contraints d’adapter leurs constructions aux pentes abruptes et obligés d’user avec parcimonie des seuls matériaux disponibles : le bois et la pierre. Aujourd’hui, les travaux et les rythmes de ce temps ont pratiquement disparu, mais la vigoureuse beauté de ces hameaux agrippés aux versants escarpés témoigne de cet accord parfait entre les constructions et le lieu qui les environne.

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

BALUSTRADES DANS LE VAL D’HÉRENS

 

La ferme du Val d’Hérens compte au moins quatre bâtisses indépendantes. Loin de trahir l’abondance, ces édifices sont partagés, tout comme le mulet, entre plusieurs propriétaires trop pauvres pour disposer de l’ensemble. La maison d’habitation, de pierre et de bois, abrite au moins une famille par étage, parfois deux. Les constructions à vocation agricole, essentiellement en bois, présentent une disposition typique liée à leur fonction : grange aux poutres mal ajustées stockant le foin au-dessus de l’étable ; raccard pour le séchage et la préparation des céréales et, enfin, le grenier, maison-coffre aux poutres jointives ; ces deux derniers bâtiments sont posés sur des pilotis surmontés d’une dalle anti-rongeurs…

Outre ces bâtiments principaux regroupés dans le village permanent, chaque famille dispose de parts ou de droits dans des annexes éloignées permettant d’effectuer les tâches agricoles au fil des saisons et des altitudes : mazots des vignes, chalets des mayens et des alpages, répartis du coteau viticole aux hauts pâtu- rages estivaux en suivant les pâtures du printemps ou de l’au- tomne. Ces dernières prairies pouvant être fauchées durant l’été lors de l’estive, le chalet des mayens comporte, en plus d’un local à vivre et de l’étable, une grange à foin. On y revenait en hiver, le foin étant plus difficile à déplacer que le bétail.

La maison d’habitation du Val d’Hérens s’accroche à la pente, le faîte orienté vers l’aval. Elle s’élève sur un soubasse- ment de pierres maçonnées à la chaux, percé de petits soupiraux, véritables meurtrières d’aération des caves enterrées et des salles. Aux étages, les chambres, constituées de poutres de bois croisés, sont adossées à un corps de bâtiment en pierres, sis à l’amont, abritant l’âtre avec son feu ouvert qui enfume la cuisine. Cette structure presque carrée, de 5 à 6 m de côté — la longueur habituelle du bois de construction — est parfois doublée de planches décorées. Ajourée de petites fenêtres alignées, elle est chauffée par un fourneau en pierre olaire, alimenté depuis la cui- sine, entrée de l’appartement.

Sur le côté ensoleillé du bâtiment, un appendice maçonné, au plan en forme de “ L ” majuscule, accolé à la partie en pierres, abrite les latrines, local doté d’une planche trouée.Au pied de cet appendice, autant de grandes pierres plates que d’appartements cachent l’orifice de vidange utilisé plus souvent pour le rez-de- chaussée que pour le troisième étage… On accède à ces locaux d’aisance par un balcon de bois qui court, accolé à la même façade, le long de la partie en bois.

La construction pouvait durer quelques années, en fonction de la disponibilité en bois ou en main d’œuvre.Après les soubas- sements, elle se poursuivait par la partie en bois afin de permettre le séchage et le tassement des madriers pendant l’érection de la maçonnerie. Voilà qui peut expliquer les différences de datation sur la planeta et en façade.

La planeta.

Dans la chambre à vivre, la poutre maîtresse traversante porte fréquemment des inscriptions. Cette planeta (prononcer planète), ainsi qu’on la nomme au Val d’Hérens, est souvent disposée de façon à montrer sa plus grande largeur, contrairement à toute logique statique. Les renseignements qui y sont gravés lui confè- rent un rôle de document d’archive :

— Les noms des propriétaires qui ont fait construire la mai- son : les époux, parfois les frères et sœurs qui ont participé à la construction. C’est à partir du XVI e siècle que l’habitude de citer les noms des propriétaires se répand et se généralise.

— L’année de la construction à laquelle on ajoute parfois le jour et le mois.

— Les noms de Jésus, de Marie et de Joseph en toutes lettres ou sous forme de monogrammes. C’est en quelque sorte la dédi- cace de la maison.

— Des motifs ornementaux : rosaces, soleil, marque de famille, etc.

Ces éléments sont parfois accompagnés d’une sentence qui fait allusion à la fragilité et à la brièveté de la vie humaine. Les inscriptions sont écrites généralement en caractères romains, mais quelques-unes sont très anciennes, écrites en lettres gothiques, parfois fort difficiles à déchiffrer.

La balustrade. Sur la maison d’habitation, comme sur le grenier ou le rac- card, voire sur la grange, des balcons étendent l’espace utile. Dis- posés prioritairement sur le côté exposé au soleil, ces appendices permettent le séchage ici du linge, là des récoltes : blé, oignons, fruits. Si les balustrades des bâtiments agricoles sont constituées de simples planches ou baliveaux sécuritaires, celles des balcons d’habitations se rapprochent de la sculpture primitive et témoi- gnent de l’habileté du charpentier ou de la richesse du proprié- taire. Souvent chantournés, les balustres suggèrent des fleurs, des feuilles, parfois même des verres et des bouteilles.

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Les vigoureuses traces de burin inscrites dans les planeta et balustrades au cours des XVIII e et XIXe siècles évoquent par leur beauté rugueuse celles de certains artisans anonymes du Moyen Âge, dont la mémoire, à défaut du nom, a conservé la rigueur des principes, la précision parfois maladroite du trait, la naïveté de l’expression.

Les admirer nous relie à des âges disparus, à des sagesses patientes autant qu’oubliées, à des accords anciens entre des croyances naïves et les colères des saisons. Dans ce jadis, des ententes organisaient la vie communautaire. Les hommes avaient à disposition l’espace et le silence, c’est-à-dire l’essentiel.

Mais la vie était difficile, soupirent les anciens. Il aurait fallu que ce soit facile en plus ?

Jocelyne GAGLIARDI et Pierre-Alain OGGIER.


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