Guerre dans le Val d’Orcia, livre issu du journal que tient Iris Origo en 1943-1944 (Éd. Conférence, 2011), relatait un épisode dramatique de la bataille de Florence. Iris Origo avait accueilli dans sa propriété de La Foce des enfants, réfugiés des villes du nord prises sous les bombardements; mais les Allemands étaient aux portes, étaient dans la propriété même, et il lui fallait conduire les enfants en lieu sûr, alors que la bataille faisait rage. Action discrète et courageuse, qui caractérise toute la vie de l’auteur.
C’est cette même dignité et cette même discrétion que l’on retrouve dans le journal antérieur, L’Air se rafraîchit; il embrasse les mois qui vont de mars 1939 à juillet 1940. Rien ici qui soit attention à soi-même ou rumination autocentrée : qu’il s’agisse de la vie à La Foce, des conversations avec les paysans de ce sud de la Toscane, des déplacements à Rome dans le milieu diplomatique, de la perception inquiète de l’imminence de la guerre, de l’analyse de la situation italienne ou du portrait de quelquesuns des hiérarques du gouvernement fasciste, les pages d’Iris Origo nous offrent, avec une rare élégance et une précision de regard acérée, un document de premier ordre sur la vie italienne de cette période troublée.
L’Air se rafraîchit évoque l’atmosphère de plus en plus oppressante d’un pays confronté à une guerre à laquelle il n’est pas du tout préparé. La chronique que nous donne Iris Origo de ces années mobilise toute l’attention du lecteur. Elle se plonge dans les journaux italiens et se livre à une poignante méditation sur le changement d’attitude de son pays d’adoption envers son Angleterre bien-aimée, tout en maintenant notre intérêt grâce au flux spontané d’anecdotes, de plaisanteries glaçantes sur la guerre et de témoignages privilégiés sur diverses négociations diplomatiques promises à l’échec. Son analyse perspicace de la politique est étayée et illustrée par une abondance de détails provenant d’une grande diversité de milieux politiques et sociaux. Les conversations avec des personnages politiques majeurs, les informations confidentielles obtenues auprès d’amis évoluant dans les cercles diplomatiques et militaires ainsi que les prédictions désespérantes de leurs voisins de La Foce, antifascistes, libéraux et catholiques, sont brillamment racontées dans ces pages, et Iris excelle quand elle donne vie à cette atmosphère dominée par l’incertitude et le malaise.
Extrait de la postface de Katia Lysy, petite-fille de l’auteur.
Iris Origo (1902-1988) a écrit une œuvre abondante, essentiellement composée d’essais de littérature et d’histoire des idées où elle s’attache à la vie des œuvres et aux conditions psychologiques et matérielles qui les ont fait naître. Mais en dépit de l’ampleur de cette œuvre, seuls deux de ses ouvrages ont été traduits en français. La diversité de ses centres d’intérêt, et le goût prononcé qu’elle montra pour l’Italie, portent la marque très singulière de son histoire personnelle.
Iris Origo était la fille unique d’un diplomate américain, William Bayard Cutting, et de l’héritière de Lord Desart, Sybil Cuffe. Sa famille paternelle, très fortunée, s’était montrée soucieuse de culture et d’engagements philanthropiques: son grand-père avait été, par exemple, l’un des fondateurs décisifs de la New York Public Library et du Metropolitan Opera. Iris Origo en perpétue la tradition.
Après la mort de William Bayard Cutting, mère et fille s’installent en Italie, dans la prestigieuse villa Médicis à Fiesole, où elles jouissent notamment de l’amitié d’un proche voisin, l’historien d’art Bernard Berenson. Iris y reçoit l’enseignement attentif de grands précepteurs, tant italiens que français ou allemands. Elle épouse en mars 1924 le marquis Antonio Origo. Les époux s’installent à La Foce, vaste propriété du Val d’Orcia, au sud de la Toscane, où ils mettent sur pied une exploitation agricole, restaurant peu à peu, avec l’architecte Cecil Pinsent, les bâtiments principaux ainsi que les cinquante-sept fermes que compte le domaine; ainsi prend forme une sorte d’utopie sociale, selon la règle ancienne de la mezzadria. Iris y crée une école, un centre de soins, veille à la vie le plus possible autarcique des cinquante-sept familles du domaine. En 1935, son premier enfant, Gianni, meurt à sept ans d’une méningite. Elle commence alors à écrire. L’expérience du fascisme, d’abord vécue de façon assez heureuse en tant que propriétaire terrien bénéficiant des initiatives fécondes du fascisme en matière d’agriculture et de mise en valeur de l’agro italiano, lui apparaît avec moins de distance à mesure que le ventennio avance; les ridicules du régime et sa brutalité progressivement intolérables font l’objet d’une analyse à la fois détachée et implacable, dans l’ouvrage posthume L’air se rafraîchit, journal de bord, pour ainsi dire, des mois précédant immédiatement la guerre et suivant l’entrée de l’Italie dans le conflit. Bientôt, le parti intérieurement pris trouvera à se traduire dans les circonstances dramatiques et héroïques de la bataille de Florence, quand Iris Origo sauvera le groupe d’enfants qu’elle avait accueillis à La Foce dans le périlleux périple sous les bombes qu’elle décrit dans Guerre dans le Val d’Orcia.
Après la guerre, Iris Origo se consacre à son domaine de La Foce, tout en écrivant une dizaine d’ouvrages, qui lui valent des reconnaissances importantes dans le monde anglo-saxon. Elle meurt à La Foce le 28 juin 1988.
Photographie de couverture :
Maria M. Sepiol, Poggio al Vento, octobre 2015.
Traduit de l’anglais par Pierre Dupont.