Europe, culture, liberté

DANS LA SITUATION culturelle et politique complexe que connaissait l’Italie dans les premiers mois de 1948, il avait semblé opportun à un groupe d’hommes de culture d’organiser au printemps de la même année une rencontre sur le thème « Europe, culture, liberté ». 

Il fut demandé à Giuseppe Capograssi d’en rédiger le « Manifeste », qui recueillit les signatures — avant de recevoir le plus grand nombre d’adhésions — de Benedetto Croce, Gaetano De Sanctis, Luigi Einaudi, Ferruccio Parri, Pietro Rondini, Ignazio Silone. 

Ce manifeste, accompagné de toutes les signatures, a été publié dans les Quaderni di Roma, dirigés par Gaetano De Sanctis (2e année, fasc. 1-2, janvier-avril 1948, pp. 158-160) ; il a été repris dans les Opere de Giuseppe Capograssi, vol. VII, Milan, Giuffrè, 1990, pp. 159-162. Nous ne traduisons ici que le texte lui-même du manifeste, sans reprendre l’ensemble des noms (plus de deux cents) des signataires. 

Tous ont le devoir, en ce moment, à commencer par les hommes de culture, plus encore que de ne pas tromper les autres, de ne pas se tromper eux-mêmes. Il faut ne pas perdre de vue l’essentiel, face auquel tout le reste est accessoire. Et l’essentiel est ceci : la nécessité de défendre l’homme et l’humain ; de rappeler que le préalable à toute reconstruction sociale, si nécessaire soit-elle, de toute instauration de justice sociale, si impérative soitelle, de toute lutte contre les injustices sociales, si indispensable soit-elle, et même de toute tentative d’aider concrètement le monde de la culture, est de reconnaître que l’homme est raison, conscience et liberté, que par conséquent toute organisation sociale doit être fondée sur le respect et la dignité humaine, et qu’il n’y a aucune fin, si haute soit-elle, qui justifie des moyens faits de force et de mensonge ; et que l’on viole ce respect et cette dignité, si à la place de la vérité à laquelle les hommes ont droit, on installe une loi de mensonge et de fraude ; à la place de la justice, une loi de violence ; à la place de la fraternité, une loi de haine.