Notes pour un journal de vingt ans

CES NOTERELLE, ces notations cursives sur l’état du temps, on les trouve à foison, généralement somptueuses, en dépit ou à cause de la modestie des circonstances dont elles nous entretiennent, dans la littérature non-complaisante que l’Italie a su créer (non-complaisante, nous voulons dire non-littéraire, à distance notable de ce qu’on appelle littérature intime, préconçue et prévisible, en fonction même de la publication façonnée pour l’image de soi) ; une littérature, en l’occurrence, d’inspiration juridique ou philosophique: ainsi des Noterelle e schermaglie de Luigi Russo, dans la revue qu’il fonda, Belfagor, et que reprit son fils (la revue s’est éteinte, hélas, à la mort de celui-ci, en 2013, après plus de soixante ans d’existence), ou encore de certains textes des Soliloqui e colloqui di un giurista de Salvatore Satta — ajoutons de ce dernier, pour faire bonne mesure, les « cronache » de la revue qu’il rédigea seul ou presque, les Quaderni del diritto e del processo civile, de 1969 à 1973, ou le Journal de Tullio Ascarelli qu’il y publia —, des anecdotes recueillies dans le livre savoureux de Virgilio Feroci, Giustizia e grazia, etc. L’auteur s’y est lui-même essayé à plusieurs reprises, avant de les publier en recueils : Temi di varia umanità  (1996), ou Riflessioni di fine secolo (1998). Mais il en avait aussi parsemé tout d’abord la revue Giustizia civile, puis la Rivista italiana di diritto del lavoro, qu’il a dirigée de 1985 à 2003. Le livre auquel nous empruntons ces notes en propose une anthologie, composée par Vincenzo Antonio Poso (Giuseppe Pera, Noterelle. Diario di un ventennio, Milan, Giuffrè, 2004). Elles ont été écrites entre 1987 et 2004. L’auteur s’éteindra en 2007, à 79 ans. 

Son nom, nous le rencontrâmes incidemment, en lisant une remarque de Salvatore Satta critiquant la mode du « travail d’équipe », surtout dans le domaine du droit : une fâcheuse tendance, à ses yeux, qui faisait naître un nouveau droit, baptisé par lui, non sans ironie, le « droit d’équipe » (qui est au droit ce que la littérature, l’histoire, la philosophie secondaires, de « laboratoire », sont à l’analyse et à la pensée — l’invention d’une manière de néant où glissent les ombres habituelles, c’est-à-dire le désir des postes et le confort des procédures, tandis que se déforme irréparablement l’objet qu’on prétendait avoir en vue). Satta citait quelques lignes de Pera, opposées elles aussi à cette mode, et concluait : « Je ne connais pas personnellement Pera, mais ce doit être un homme de courage. Il n’est pas facile de dire ces évidences, précisément parce que ce sont des évidences. »