La ville sans mur. Venise - Berlin

DEPUIS DES ANNÉES, Conférence médite sur l’état de Venise. Il s’agissait surtout de rappeler que « Venise est une ville » (selon l’excellent titre du volume de Franco Mancuso) et de comprendre quelle ville est Venise. Au moment où la violence des choses et l’arrogance des statistiques nous renvoient l’image d’une Venise-décor, impuissante et mortifiée à l’arrière-plan de la transhumance des touristes, il convenait de se demander ce que cette ville sans égale ne cessait de dire sur l’être-ville de toutes les villes, en Italie ou ailleurs, qu’elles soient accablées par la grâce douteuse de la renommée universelle ou réduites au simple rôle de périphéries de quelques ailleurs plus connus. 

La morale qu’on a pu tirer de cette longue fidélité à Venise portait avant tout et surtout sur le rapport entre espace et histoire. Ville éminemment dense, où toute addition se décline sous la forme d’une adaptation, Venise impose de penser la présence du passé comme la persistance d’un palimpseste. Comme l’eau qui insiste sur la pierre des fondamenta, l’histoire ronge et lisse l’existant par ses bavures, le nouveau n’étant que le glacis à peine transparent ultérieurement déposé sur la surface du passé. Le résultat final est une profondeur sans épaisseur, l’antérieur se laisse constamment deviner comme l’intérieur du présent. Comprenons : les espaces de la ville de Venise, même s’ils font l’objet d’une création presque ex novo (c’est le cas actuellement d’une partie de la Giudecca) sont toujours pensés à partir d’une constance des contraintes qui impose, en retour, une continuité presque fatale des solutions architecturales. 

Quoi qu’il en soit de la justesse de ces analyses, elles ont sans doute eu le mérite de susciter un certain nombre de questions qui se situent au croisement des interrogations de l’urbanisme, de l’architecture et de la philosophie politique de notre temps. C’est justement à ce titre qu’il nous a semblé opportun de prolonger cette réflexion et de valider, pour ainsi dire, a posteriori les résultats de ce long corps à corps avec l’essence de Venise en les exposant à l’épreuve d’une autre ville : Berlin.