Durs Grünbein : Berlin, après l’histoire

Den Horizont entlang
ziehen die Frachter
hinüber in eine andere Zeit
G.W. Sebald, Nach der Natur

Le long de l’horizon
les cargos glissent
vers un autre temps
G.W. Sebald, D’après nature

BERLIN TRANSIT : choisir les poèmes de Durs Grünbein pour pénétrer dans la capitale allemande, c’est prendre pour guide un homme qui a fait de Berlin un asile provisoire, jamais un authentique «chez-soi» (Daheim). Nul doute qu’après les années passées dans cette ville, le poète connaît l’« atlas de ses rues » comme sa poche, et pourtant Berlin n’a pas perdu, pour lui, son étrangeté. Durs Grünbein est né en 1962 à Dresde, il grandit en RDA, dans l’ancien joyau de la Saxe, parmi les ruines de la Frauenkirche et des salles du Grünes Gewölbe, et les logements, les institutions du pouvoir reconstruits à la hâte. À Berlin, où il s’installe en 1985, il cherche et retrouve les églises en ruines, les austères façades des immeubles soviétiques. C’est là que Grünbein écrit son premier recueil, Zone grise, le matin (Grauzone morgens, 1988). Suivront les recueils Leçon sur la base du crâne (Schädelbasislektion, 1991), puis Plis et pièges (Falten und Fallen, 1994). Le succès critique ne se fait pas attendre : Grünbein s’impose comme l’une des voix poétiques les plus prometteuses de l’Allemagne réunifiée. Sans accuser, sans s’engager, il pointe le revers de la médaille, l’envers du miracle économique enfin rendu accessible à l’ensemble du peuple allemand. Il dit le spleen de l’habitant d’un monde homogène où la critique a cédé au confort du consensus, où l’utopie s’est assoupie dans le hic et nunc de l’hédonisme consumériste. En 1995, le prestigieux prix Georg Büchner vient couronner une œuvre encore jeune : immense honneur pour le poète, qui a voulu se placer dans la lignée du grand dramaturge. Comme Büchner, Grünbein se passionne pour la biologie et la médecine : tous deux portent sur la créature humaine un regard dont la rigueur scientifique ne refoule jamais l’empathie fondamentale. Au discours qu’il tient à l’occasion de la remise du prix Büchner, il donne le titre «Rompre le corps» («Den Körper zerbrechen»): ouvrir le corps, cartographier les méandres des veines, les labyrinthes des synapses, c’est maintenir à distance les chairs périssables, c’est tempérer la pitié et endiguer l’angoisse. Chez Grünbein, la précision, l’érudition brident le lyrisme. Mais sous l’implacable diagnostic des érections et des détumescences, des élancements, torpeurs et scléroses, les regrets, les doutes et les désirs affleurent. 

 

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