Lettre du Jour de l'an à une petite fille qui ne sait pas lire

SI JE TE PRÉSENTE MES VŒUX DE NOUVEL AN, ce n’est pas pour que tu les lises, mais pour que tu conserves cette lettre et que tu la lises quand cinquante ans se seront écoulés à partir d’aujourd’hui. 

Aujourd’hui, tu as trois ans : tu ne sais pas ce qu’est le Nouvel An. Tu ne sais pas que dans cet instant unique, c’est la seconde moitié de ce siècle qui commence. Quand cette seconde moitié aura passé elle aussi (un souffle), tu auras cinquante-quatre ans ; tu seras grand-mère ; tu auras des enfants, peut-être des petits-enfants qui auront l’âge que tu as. Tu pourras regarder en arrière et lire comme dans un livre, ce livre qui pour nous est fermé et dont nous pourrons à peine lire le frontispice, et quelques pages peut-être. 

Qu’en aura-t-il été de nous ? Où serons-nous allés ? 

Toi, tu le sauras. Ce n’est qu’en pensant à toi, en franchissant ces cinquante ans, qu’on peut dire des mots d’espoir. Comme quelqu’un qui a franchi le fleuve et se trouve sur l’autre rive. 

Mais il y aura encore la mort. 

Piero Calamandrei. 

 

LETTRE DU JOUR DE L’AN à une petite fille qui ne sait pas lire.