CANTET ET BÉGAUDEAU : UNE CONJURATION

 

BÉGAUDEAU désormais est le nom d’un problème. Que n’a-t-on pas écrit, déjà, sur son roman Entre les murs, l’événe-ment noir qui marquera la fin de notre histoire scolaire. On parla d’une chronique « savoureuse », « douce-amère », de l’école d’aujourd’hui. Pendant que l’on vantait la manière « héroïque et modeste » de son enseignement, l’on entendit ce professeur se perdre dans l’apologie d’une « loquacité débridée », même d’un « joyeux bordel », censés donner à notre école la chance et l’occasion d’une renaissance.

Or de quoi s’agit-il ? D’un professeur qui a changé son rôle de maître en bousilleur d’enfants pour la plupart odieux, comme l’écrivain les a voulus : très uniformément stupides, grossiers, caractériels. Du coup, l’idée a pu germer que, dans cette sorte d’autoportrait pour un peu masochiste, dans ce martyre fictif, notre école naufragée recevait une volée de bois vert. Mais non, Cantet et Bégaudeau, conjurés sur ce point, affirment que leurs deux œuvres sont des documentaires sérieux et « engagés », entés à la promesse d’un mouvement positif.

À quoi s’ajoute la profession de foi réitérée de l’acteur-roman-cier qui joue avec niaiserie son propre rôle. « Un cours, ça doit partir dans tous les sens, pour le meilleur et pour le pire. » « Le bon prof, ajoute-t-il, est celui qui se trompe, qui est peu sûr de lui, de mauvaise foi, irresponsable : qui même n’enseigne pas ! »


 
  • mai 2007
    • RETOUR AU NEZ DE CLÉOPÂTRE Arno J. Mayer.

      CASSER du Bush est devenu un sport national, et même international — en même temps qu’une opération de diversion. Caligula, le troisième empereur romain, avait beau être dépravé, despotique et brutal, il avait caressé, dit-on, le projet tout de dérision de nommer Incitatus, son cheval favori, à la tête du Sénat puis au poste de Consul. Peut-être était-ce pour Caligula le moyen discutable de suggérer que l’Empire romain avait sa dynamique propre, largement indépendante de sa cascade de Césars. Aujourd’hui, avec le désastre en Irak et la bombe à retardement du Moyen-Orient, le problème est moins la...

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    • LA DÉMOCRATIE N’EST PAS AUTOSUFFISANTE. Le cas italien, et d’autres avec lui Giuseppe Tognon

      Entretien avec Pietro Scoppola. (Trad.Christophe Carraud.)   PIETRO SCOPPOLA – GIUSEPPE TOGNON GIUSEPPE TOGNON.— À propos de démocratie, on peut se demander si la démocratie italienne ne porte pas en soi cette limite de n’être pas née d’une expérience révolutionnaire authentique, comme ce fut le cas d’abord en Angleterre, puis en France, et d’être restée ce que j’appellerais une « démocratie tiède ». La question me semble importante à la lumière de l’aide décisive que les catholiques ont apportée à son établissement dans notre pays. Pietro Scoppola. — Je ne crois pas que la démocratie naisse...

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  • novembre 2007
    • LA CULTURE DE L’ÉVALUATION ET L’ÉTHIQUE DU MÉRITE Giuseppe Tognon

        LA culture de l’évaluation est au cœur des sociétés com-plexes ; elle en révèle l’épaisseur éthique et le degré d’édu-cation. Elle montre si ces sociétés sont animées de fortes convictions et si elles sont encore capables de se donner la règle permettant de les faire vivre dans l’espace civique. Le manque de ressources économiques au regard des attentes et des besoins des masses, la dysharmonie de leur localisation et de leur distribution rendent la prévision de l’avenir toujours plus difficile et toujours moins « scientifique », malgré la masse d’informations en circula-tion. Et la crise des...

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    • DROITS DE L’HOMME QUE MON COEUR AIMER DOIT Olivier Rey

        AU début du roman de H.G. Wells, La Machine à voyager dans le temps, un des amis auxquels l’inventeur présente sa machine s’enthousiasme, en songeant que grâce à elle, on pourra apprendre le grec de la bouche même d’Homère ou de Platon. Vous oubliez, tempère l’inventeur, la difficulté qu’il y aurait à comprendre leurs paroles : depuis ce temps, les savants allemands ont tellement perfectionné le grec ! La part faite à l’iro-nie, pensons à toutes les notions auxquelles, au fil des siècles, phi-losophes et scientifiques ont donné un nom grec, qui laisseraient les érudits de l’Antiquité perplexes....

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  • août 2008
    • MINORITY REPORT Teresa Bartolomei

        DANS son célèbre récit Minority Report,Philip Dick met en scène une métaphore grandiose et particulièrement complexe du rapport entre liberté et pouvoir, faute et libre-arbitre, crime et châtiment, erreur et vérité. Les itinéraires interprétatifs ouverts par ce texte magnifique sont infiniment stimulants et variés ; mais à titre d’introduction à notre rencontre[1], je m’en tiendrai au rôle essentiel que joue le « rapport de minorité » dans le salut de l’individu et de la communauté. Renversant génialement le lieu commun qui veut que ce salut soit lié à la certitude du jugement, Dick suggère...

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    • «LE MOINS ÉLEVÉ DES ESPRITS TOMBÉS DU CIEL» David Bosworth, Matthew Mehan

      Un entretien sur l’immaturité[1].     MATTHEW MEHAN. Chaque génération a sa part de parents immatures. La génération actuelle est-elle particulièrement immature ? David Bosworth.Évitons de ne considérer qu’une seule génération : c’est une façon de faire dont raffolent nos soldats de la culture, et qui revient vite à distribuer de mauvaises notes. J’aimerais souligner au contraire que l’épidémie actuelle de comportements immatures fait partie d’un processus historique de grande ampleur, qui remonte au moins à la fin du XIXe]siècle. Les transformations que l’Amérique a connues dans son économie morale reprennent...

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  • septembre 2008
    • L’homme empêché Jean-Luc Evard

        On ne trouvera pas déplacé qu’éditant ces propos récents de David Bosworth nous les ourlions ensuite de deux autres, qui paraîtront peut-être y jurer. C’est qu’ils viennent d’un autre temps — la génération de Georges Bernanos et celle de Leo Strauss — et d’un autre souci — l’idée philosophique, non pas sociologique, que l’immaturité avait été, au début du siècle vingtième déjà, et dans la vieille Europe, une des sources les plus prolifiques de l’expansion du nihilisme. En fait, notre contemporain, un sociologue américain, cite lui-même des voix — Carlyle, Milton — d’un temps très antérieur et...

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  • décembre 2008
    • LES RELENTS D’UN VASE VIDE Jean-Luc Evard

      Comment l’énergie poétique et l’énergie politiquesont-elles convertibles ? APPLIQUÉE au XXe siècle, l’hypothèse sous laquelle nous entendons étudier ici un cas particulier de transformation de l’énergie poétique en énergie théorique et en énergie politique — cette hypothèse de la triadefondamentale des socié-tés occidentales avait surgi pour éclairer de tout autres époques que la nôtre : pour Dumézil, l’Antiquité indo-européenne ; pour J. Burckhardt, l’Antiquité grecque ; pour Renan, la Modernité issue de la triple réforme de la chrétienté, de la science et du poli-tique ; pour G. Duby, le Moyen Âge....

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    • BOWLING EN SOLO : LE DÉCLIN DU CAPITAL SOCIAL AMÉRICAIN Robert D. Putnam

      NOMBREUX sont les spécialistes qui, étudiant les nouvelles démocraties apparues au cours des quinze dernières années, ont souligné l’importance, pour leur consolidation, d’une société civile forte et active1. Particulièrement en ce qui concerne les pays post-communistes, analystes et militants de la démocratie ont déploré l’absence, ou l’effacement, des traditions d’engagement civique autonome et la tendance dominante des populations à s’en remettre passivement à l’État. Face à la faiblesse des sociétés civiles dans les mondes en développement ou post-communiste, les démocraties occidentales et, par-dessus...

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    • CORPS AU TRAVAIL Gilles Gourc

      Ainsi une société où l’on travaille sans cesse durement jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême.Nietzsche, Aurore. SI, comme l’affirme Marx, le travail ne produit pas seulement des marchandises, mais aussi l’ouvrier comme marchandise, cette opération s’incarne. La marchandisation de l’ouvrier ne se fait qu’au prix d’une singulière réduction : la réduction au corps utile. Expulsé désormais de la vie pour longtemps, nous voilà incarcéré dans ce corps. Sous le système d’exploitation, il faut éprouver dans sa chair le détail de l’utilisation de...

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    • CANTET ET BÉGAUDEAU : UNE CONJURATION Patrick Guyon

        BÉGAUDEAU désormais est le nom d’un problème. Que n’a-t-on pas écrit, déjà, sur son roman Entre les murs, l’événe-ment noir qui marquera la fin de notre histoire scolaire. On parla d’une chronique « savoureuse », « douce-amère », de l’école d’aujourd’hui. Pendant que l’on vantait la manière « héroïque et modeste » de son enseignement, l’on entendit ce professeur se perdre dans l’apologie d’une « loquacité débridée », même d’un « joyeux bordel », censés donner à notre école la chance et l’occasion d’une renaissance. Or de quoi s’agit-il ? D’un professeur qui a changé son rôle de maître en bousilleur d’enfants...

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    • UN DOUTE (Première partie) Christophe Carraud

      La télé où je veux c’est maintenant ou jamais. Publicité (janvier 2008) pour des téléphones portatifs. AU début d’un beau livre consacré à Marsile Ficin, Raymond Marcel évoquait le point de départ nécessaire à toute renaissance, celui qu’en vérité elle nous semble désigner a posteriori: « Certes, de quelque côté que l’on se tourne en ce monde, l’horizon reste le même, mais l’atmosphère a changé ». Il est difficile de décrire une atmosphère, un changement d’atmo-sphère. Il y va d’une nuance aussi impérieuse qu’insaisissable. Les choses sont en leur place, mais la manière de les habiter s’est...

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