IMPORTANCE CONSTITUTIONNELLE DU DROIT DE GRÈVE

Présentation. 

Nous sommes au tout début de la législation sur le travail en Italie, et, le 16 janvier 1952, Piero Calamandrei tient une conférence à Rome sur l’importance constitutionnelle du droit de grève dans la salle des avocats du Palais de Justice, à l’invitation de l’Association des juristes démocratiques. La discussion du projet de loi Rubinacci, qui veut redessiner les rapports de travail en appliquant l’article 40 de la Constitution, bat son plein ; le juriste florentin avait déjà eu l’occasion d’évoquer le sujet lors de la controverse sur le droit de grève des employés publics, qui s’était élevée en 1949. 

Comme le rapporte le lendemain le quotidien Avanti, on comptait dans l’assistance Gaetano Azzariti, Terracini, Santi, Berlinguer, Giolitti et beaucoup de juristes et d’avocats. 

Calamandrei tiendra plus tard à Milan un propos analogue, invité pour un cycle de conférences sur la Constitution à la Maison de la culture. Parmi les auditeurs, le premier Président du Tribunal, Tomasi, l’avocat Raffaelli, Riccardo Lombardi, Lelio Basso, Riccardo Bauer, Brambilla, le secrétaire de la Chambre du travail, Cinelli, le secrétaire de la Fédération des ouvriers Métallurgistes (FIOM). 

Les sujets abordés seront réélaborés dans l’essai «Signification constitutionnelle du droit de grève » publié dans la Rivista giuridica del lavoro en 1952, et repris dans les Opere giuridiche éditées par Mauro Cappelletti neuf ans après la mort de l’auteur. Les manuscrits préparatoires de la conférence et leur mise au net dactylographique sont conservés aux Archives Calamandrei de l’Institut historique de la résistance toscane à Florence ; c’est à eux que j’ai puisé pour restituer le texte de la conférence. 

Que Calamandrei attribue une importance décisive à la question du droit au travail, on le sait grâce à son plaidoyer passionné en défense de Danilo Dolci lors du procès de 19561 ; mais il est précieux de connaître aussi son interprétation du droit de grève comme levier pour la transformation démocratique telle que l’appellent les contenus programmatiques de la Constitution, une Constitution rédigée aussi comme une critique du présent. 

Silvia Calamandrei.

 

* Chers collègues et amis, 

C’est une conversation entre juristes que je vous propose, dans la mesure où je parlerai de la grève sous l’aspect juridique, et non sous l’aspect politique. Cette distinction entre aspect juridique et aspect politique est facile à faire. 

Dans les écoles, on dit que le juriste étudie, avec ses instruments de recherche logique, le droit tel qu’il est, les lois existantes, qu’elles soient bonnes ou mauvaises (ius conditum), et qu’il les interprète pour ce qu’elles sont ; le politique cherche à influer sur le droit de demain et à transformer en lois ses aspirations politiques (ius condendum). 

Or, si l’on veut maintenir, puisque nous sommes entre juristes, le propos dans le domaine strictement juridique, on peut partir d’une disposition qui existe déjà et qui est l’art. 40 de la Constitution. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent et donc des normes juridiques qui existent déjà. Il s’agit de les interpréter. Que veut dire le droit de grève ? En quel sens, sous quel aspect, la grève est-elle un droit, quelle importance a le fait que la grève soit déterminée comme droit, et surtout que ce droit se trouve proclamé dans la Constitution ? Quelles pourront en être les limites, dans quels domaines contenir celles-ci, pour respecter les normes qui règleront, demain, le droit de grève existant aujourd’hui ? 

Un projet de loi a été déposé en décembre dernier, présenté par l’actuel ministre du travail, sous l’intitulé « Disposition pour la discipline juridique des rapports de travail ». Il règlementera non seulement le droit de grève, mais toute la matière du travail, toute la matière syndicale ; il se réfère non seulement à l’art. 40 de la Constitution, mais aussi à l’art. 39, donc à l’organisation syndicale, aux associations représentatives des travailleurs pour tous ceux qui appartiennent à la catégorie, à la stipulation des contrats collectifs de travail à travers la représentation unitaire syndicale. 

Il est évident qu’au moment de la discussion de ce projet de loi, que le ministre a déposé dans l’espoir qu’il se transformera en loi, de vastes et nombreuses questions politiques se poseront, qui permettront à chaque homme politique, selon la tendance de son parti, de soutenir l’opinion qu’il considèrera comme politiquement juste à ce moment-là. Il pourrait aussi se faire qu’avant de discuter ce projet de loi, on crée le Conseil national de l’économie et du travail, qui est un organe prévu par un autre article de la Constitution, l’art. 99, pour qu’il puisse rendre son opinion ; mais il peut se faire que le projet de loi Rubinacci soit mis en discussion et que la constitution du Conseil national de l’économie et du travail s’enlise. Telles sont donc les question politiques qui se présenteront ; mais je ne vous en parlerai pas ce soir. Je me contenterai d’évoquer les préalables juridiques des discussions qui auront lieu quand le projet de loi sera présenté et discuté. Ces discussions trouveront une limite dans l’art. 40, et c’est précisément au sujet de cet art. 40 que je ferai ce soir une introduction très élémentaire ; je dois dire que je me sens un peu intimidé, mortifié, en voyant devant moi, au moment d’exposer des principes aussi simples, un public composé de juristes experts qui peuvent m’enseigner ce que je cherche à résumer.