La « ruffiane » et la douceur

Auteur :

Francesco Carnelutti

 Rome, 12 septembre 19491.

Riccardo Selvatico, Sonetti a Venezia.

« Venezia mia, ti xe la gran rufiana ».

Le reste du sonnet, malgré sa finesse et sa douceur, n’a rien à voir avec la pureté et la hardiesse de ce vers célèbre ; mais qui peut en jouir sans être vénitien, de naissance ou d’adoption ?

La sonorité, l’émotion reposent entièrement sur le dernier mot, qui est devenu, par l’usage que le poète en fait, le paradigme du changement, ou plutôt du retournement de sens d’un vocable. Mais ce n’est pas à cela que j’ai envie de penser ce soir, en regardant mourir le jour dans le ciel de Rome. Venise, Venise... Le beau vers ne contient pas pour moi l’exemple de la fortune d’un mot, mais celui de la vertu de Venise.

Du tercet du chant de Dante4 à celui du sonnet de Selvatico, je dirais que le mot rugueux s’est poli. Comme un caillou sur lequel s’écoule, pendant des siècles, l’eau d’un torrent. La comparaison me persuade qu’ici, l’eau n’est plus qu’une caresse. Venise a la vertu de caresser.

Le dialecte, c’est sûr :

« Andemo, vissere,
Sera i to ocieti,
Fin che mi resto
Par sti intrigheti ;
Za fasso presto !
E co li sterminio
Subito mi
Vegno co ti...
Questi che tugola
Sora l’altana
Xe colombini
Cha fa la nana
Ai so putini ;
E se le bestie
Le fa cussì,
Dormi anca ti. »