« Tu me rajeunis et me vieillis tout à la fois. »
Ce sont, je me souviens, les paroles que je lançai
dans un sourire accompagnant mon fils,
jeune homme, sur la passerelle qui enjambe le fleuve
-- celle-là même qu'à son âge je franchissais vite,
craignant le vertige des eaux rapides.
Resserrée dans l'été qui s'attarde,
j'aime à lui ouvrir cette ville
où livres, maîtres et amis agrandirent le monde.
Je pense aux deux cercles du Timée,
à celui du Même et celui de l'Autre,
à ces débris de moraines qu'en dépit des barrages
le fleuve toujours emporte et charrie.
Ma lecture est ancienne : je ne sais plus
si les deux cercles se joignent ou se recoupent
ni l'exactitude de leurs révolutions.
La ville est belle, avec ses façades rouges et jaunes
convoquant l'Italie en ce milieu des Gaules,
il me semble pouvoir m'y perdre
avec bonheur ou m'y asseoir longuement
dans le souci des amitiés fidèles.
Certes le temps n'est plus
le jeu mobile de l'immobile éternité
mais rien n'oblige qu'il soit le gouffre insensé
à voiler de fumées avant que d'y sombrer.
Ainsi passe sur le Rhône aux eaux rapides,
plus profond encore que le savoir de mort,
comme un souffle qui va devant.
Et du fils qui s'en va
que dire sinon :
« Va ta route ;
fasse le temps que mon savoir de toi
ne soit ni l'ancre ni la barre
mais le port au besoin
et comme un léger vent qui fait rire la mer ».
Pascal RIOU.