EDUCATEUR, praticien de l’assistance éducative en milieu ouvert dans la sphère de la Justice des mineurs, j’ai peu à peu été conduit à considérer combien les enjeux de la différenciation subjective — ce qui fait qu’un jeune sujet advient à la raison, à l’altérité — sont noués à la problématique généalogique de la Loi, à ses fondements langagiers et institutionnels. La longue élaboration de la pratique, mon chemin de pensée, l’expérience de la psychanalyse m’ont aidé à comprendre qu’il n’y a pas pour notre espèce, l’espèce parlante, de reproduction subjective naturelle, mais que cette reproduction implique la dimension institutionnelle.
Que nous le voulions ou non, nous avons, nous les parents1, à faire face aux enfants, aux adolescents, qui eux-mêmes nous font face. Faire face — voilà qui nous renvoie au miroir, au regard, au visage. Comment les parents d’aujourd’hui regardent les enfants, et les enfants les parents ? Comment les voyons-nous, comment nous voient-ils ?
Dans ce face à face des parents et des enfants, dans lequel les parents ont parfois tant de mal à se regarder dans leurs enfants, la dimension institutionnelle, quand elle n’est pas détournée au service du fantasme, du fantasme d’être tout, introduit un écart, un tiers terme.
Mais sous le poids de l’individualisme, du scientisme, de l’opposition sujet / institution, sujet / société, nous en sommes venus à ignorer cette fonction tierce des institutions.
S’il y a une trentaine d’années le monde « psy » et les milieux de l’éducation spécialisée apparaissaient encore sensibles à la problématique œdipienne, à la dimension institutionnelle de la triangulation, ils n’ont pu alors, pour des raisons diverses2, tirer la leçon des meilleures expériences et des meilleures élaborations, et de là faire valoir auprès des pouvoirs en quoi l’institutionnalité est la base de l’organisation symbolique du sujet, la base de sa constitution subjective. Les courants les plus inventifs
— je pense là par exemple à l’expérience remarquable d’« institution ouverte » que conduisit la psychanalyste Maud Mannoni —, enfermés dans l’illusion « révolutionnaire » de l’autre institution, du nouveau lien social, se sont montrés incapables de penser les liens aux tutelles institutionnelles (administratives, associatives, judiciaires) comme des articulations symboliques ; ils ont finalement échoué, comme cela se manifeste aujourd’hui, dans le duel sujet / administration. De son côté, le courant « institutionnaliste », dont Jean Oury demeure un des plus subtils représentants, s’est aussi enferré dans un juridisme insu, non repéré comme tel, laissant le champ libre au rouleau compresseur du management.
Dès lors que le principe d’institutionnalité n’était relevé, par les cliniciens, les psychanalystes eux-mêmes, comme principe symbolique tiers — comme ce principe de séparation des pouvoirs, de distinction et de limitation des ordres de discours et de compétences qui préside à l’enjeu primordial de la différenciation subjective – la dimension institutionnelle, réduite à la gestion, allait se trouver soumise au fondamentalisme unificateur, totalisateur, des techno-managers. La formation des directeurs d’institutions et services de l’Education spécialisée, aujourd’hui envahie par les « référentiels » techno-scientistes de la « bonne gouvernance » managériale, demeure à ma connaissance totalement étrangère à la dimension symbolique institutionnelle de la Loi, à l’horizon généalogique des fonctions.