Préambule.
EN présentant une traduction de la correspondance entretenue par Eric Voegelin et Karl Löwith et publiée en 2007 par la revue allemande Sinn und Form, nous n’entendons pas seulement réduire un peu le retard accusé par la réception française de leurs œuvres respectives. Ce contretemps ne tient sans doute qu’incidemment au différé ordinaire de la réception souvent paresseuse que la langue française daigne concéder à ses voisines — et pourrait bien du reste faire bientôt place à son contraire, si l’on en croit la multiplication des traductions récentes de quelques livres de Voegelin (dont celle de Domi-nique Weber dans Conférence [nº 26, printemps 2008]). Notre motif excède ces circonstances, il tient à une certitude entée sur une évidence : le regain de la méditation philosophique en France entraîne avec lui celui d’un genre, la philosophie de l’histoire, qui y passait pour suranné, et à son tour cette réapparition réactualise un autre genre encore, qu’on y déclarait mort et enterré — la zone d’interférences entre théologie et philosophie. La puissance herméneutique des argumentations à l’œuvre dans les lettres échangées par les deux philosophes allemands en exil aux États-Unis est ici son propre index de vérité et d’actualité, et se passe souverainement de tout commentaire à son endroit. Voegelin et Löwith, au moment où ils dialoguent ainsi, sont l’un et l’autre déjà par-venus au centre le plus fécond de leur œuvre, et le cyclone où ils sont embarqués, le monde et l’immonde de la guerre mondiale et de la guerre froide, a rarement paru ramener l’ascèse philosophique à une situation aussi somptueuse et aussi dérisoire. Du moins faut-il avoir présente à l’esprit cette échelle des choses et des situations si l’on veut goûter toute la splendeur d’une pensée que rien ne décourage ni ne captive, et qui tire sa féconde fermeté du savoir quotidien de cette disproportion.