S’IL est une lumière dont le souvenir ne s’est jamais éteint après qu’elle eut éclairé fidèlement les loin-tains de mon enfance et de mon adolescence et les eut comblés de toute la gamme possible des émotions, c’est bien celle de la petite veilleuse rouge que je voyais palpiter, en chaque église où je me tenais en prière, dans l’ombre recueillie du sanctuaire. On me l’avait appris : cette modeste lampe singulièrement fascinante, plus mys-térieuse que celle d’Aladin, plus symbolique que celles des vierges sages, et inépuisablement vivante et fervente, était le signe extérieur, matériel et sensible, de la présence de Dieu contenue dans les hosties consacrées qui occu-paient le ciboire enfermé dans le tabernacle de l’autel. Cette présence, véhiculée par des choses parfaitement simples et bien connues, que l’on pouvait voir et toucher, était désignée, en termes de théologie et de liturgie, comme Présence réelle.
Assurément, l’enfant manquait de savoir. Il n’avait pas l’usage clair de notions qui lui eussent permis de distin-guer le réel de l’imaginaire — du fantastique, du fantas-matique et d’autres illusions. Le réel était le réel, cela lui suffisait, c’était la vérité, l’évidence incontestable. L’en-fant avait la foi du charbonnier. Il n’avait pas à chercher ailleurs que dans cette parcelle de flamme et de feu la certitude que la Présence était là, véritablement, qu’elle ne cessait jamais (si ce n’était au soir du Jeudi saint pour ressusciter au jour de Pâques) et qu’il lui suffisait donc, à lui, l’enfant, de la contempler avec confiance et persévé-rance, pour se tenir dans la proximité de Dieu. Sans le savoir, sans pouvoir l’exprimer en termes savants, il expé-rimentait, dans son vécu de chaque jour, cette essence du mysticisme « inconscient, muet et sourd, mais réel, de la plus simple des vies vraiment chrétiennes1 ».