Sommaire. — 1. Ressemblances entre l’activité historiographique et l’activité juridictionnelle. — 2. Un livre récent de G. Calogero et quelques critiques à son endroit. — 3. Inertie institutionnelle du juge. — 4. Iura novit curia. 5. — Limitations posées par la loi processuelle à l’enquête du juge sur les faits de la cause. — 6. Relativité de l’estimation judiciaire des faits. — 7. Affinités des règles probatoires et de la méthodologie historique. — 8. L’application du droit au fait : la juridiction comme vérification des « volontés concrètes des lois » préexistantes. 9. Critique : l’acte juridictionnel comme acte de volonté. — 10. Formulation législative et formulation judiciaire du droit : justice et politique. — 11. La sentence comme avis technique. — 12. Conséquences pratiques qui peuvent découler de la considération de la sentence exclusivement comme acte de volonté. — 13. Tendances de la doctrine et dangers possibles.
1.— L’usage d’expressions qui rapprochent l’activité du juge de celle de l’historien est commune parmi les processualistes, surtout dans la systématique de la phase de connaissance . Le juge aussi, comme l’historien, est appelé à enquêter sur des faits du passé et à en évaluer la vérité ; du juge aussi, comme de l’historien, on dit qu’il ne doit pas faire œuvre d’imagination, mais de choix et de reconstruction sur des «données» préexistantes. Dans l’histoire et dans le procès, on parle de preuves, de documents, de témoignages, de « sources », et de leur critique. Les spécialistes du procès se servent, pour une certaine catégorie de moyens de preuve, de la dénomination de « preuves historiques » ; et, de même que la reconstruction du fait, présentée au jugement par le défenseur dans l’intérêt de son client, peut ressembler à certaines histoires tendancieuses et partiales qui, pour servir à des fins pratiques, offrent une reconstruction de la réalité mutilée et déformée à dessein, de même, dans la reconstruction fidèle et achevée que le juge doit faire, on loue, comme dans celle du véritable historien, l’impartialité et la prétendue « objectivité », et l’on désigne comme sentence parfaite, sans différence avec ce qu’on a pu penser de l’histoire parfaite, celle qui parvient à n’être qu’une copie exacte, un calque, pourrait-on dire, obtenu avec une précision mécanique, d’une réalité qui réside tout entière en dehors de celui qui juge.