LA POÉSIE PERSANE, classique ou contemporaine, manifeste sa présence dans le cinéma d’Abbas Kiarostami de bien des manières, par exemple par une citation dès le titre du film ou à l’intérieur des dialogues, et par la reprise de motifs traditionnels comme le vent ou le chemin sinueux, motifs empruntés à la poésie mystique. Le titre du film bien connu Où est la maison de mon ami ? est ainsi repris d’un poème du grand poète contemporain Sohrâb Sepehri. D’une tout autre manière encore, le film Shirin montre le visage des spectatrices d’une adaptation cinématographique de l’épopée Khosrow et Shirin. On peut aussi rattacher à la poésie, mais à la poésie japonaise, et au haïku en particulier, la structure de maint film de Kiarostami, caractérisée par l’effacement de la narration au bénéfice de l’image, comme dans la série des films expérimentaux intitulée Five, véritables haïkus visuels.
Mais l’on ignore souvent qu’Abbas Kiarostami a lui-même publié des poèmes. Il a écrit de la poésie dès son plus jeune âge et a continué à le faire tout au long de sa vie. Le lecteur français peut lire sa poésie en particulier dans la collection bilingue « Po&psy » de l’éditeur Érès, où trois de ses recueils ont été réunis en 2014 sous le titre Des milliers d’arbres solitaires.
Abbas Kiarostami a publié un autre recueil, Sa’di az daste khishtan faryâd, d’une manière toute particulière : il a puisé dans l’œuvre poétique de Sa’di, figure majeure du panthéon poétique iranien, des vers ou des distiques, et, en en transformant la disposition sur la page, a fait de chacun d’eux un poème bref. Le geste poétique de Kiarostami est à la fois anthologique et typographique. La poésie de Sa’di se transforme alors en poèmes de Kiarostami. À travers ce recueil apparaît un sujet poétique tout à la fois enclin au concret, moraliste, au vrai sens du terme, amoureux et anticlérical. L’humour narquois, les jeux verbaux, le travail rythmique, sont partout présents.
Ce recueil est fait de plus de six cents poèmes brefs. Une vingtaine en est ici présentée par Conférence. Un choix plus ample, d’une centaine de poèmes, sera publié en 2018 dans la collection « Po&psy », sous le titre Sa’di ivre d’amour.
Franck Merger
*
qui a dit :
regarder un beau visage
est un péché
le péché c’est ne pas voir la beauté
*
si on me demande ce que je veux dans l’au-delà
un ami
pour moi
les trésors du paradis
pour vous
*
les gens sont ivres de vin
et dénués de bon sens
moi je ne veux pas
de vin
je suis ivre
d’amour
*
qui donc a dit :
détourne les yeux
du visage des idoles
parle toujours
je sais m’arranger
sauf avec le destin