IX.
Les cendres.
Dehors, il fait moins quinze. Dehors, moins trois, quatre, ou cinq, selon l’exposition des chambres et le nombre de ceux qui y dorment. Comme les paysans de la montagne chauffent la maison l’hiver avec les bêtes rentrées à l’étable, on dort mieux au troisième étage qu’au ras du sol, si l’on n’est pas incommodé par l’odeur. L’eau coule encore au lavabo. La douche, grâce à la pression, fonctionne. Toute la chambré dort ou fait semblant, hormis les rats qui mènent joyeux sabbat dans le couloir. Il se déraidit, se déplie et se lève pour aller se réchauffer sous la douche, abandonnant sa chemise pour un pagne. Mayrese, qui l’entend bouger, prend sa guitare. Le petit curé ouvre un œil. Mal-gré l’occultation, une vague clarté signale, balise les ténèbres. Il suffit de compter ses pas et d’écarquiller les paupières pour entrevoir le profil aigu de la pomme et la chaîne qui fait pleuvoir les aiguilles d’acier qui pénètrent la chair. Jusqu’à quels abîmes faut-il que l’homme descende, se dit-il, pour qu’à la vie cesse de s’attacher cette exquise sensation de plaisir ? Il retourne à son gîte, attentif à ne pas faire grincer l’huis, guidé par la lueur rouge d’une cigarette qui danse au rythme feutré de la guitare. À la tête du lit, il s’immobilise et s’ébroue, avant de se glisser dans le sac avec sa vigueur toute sèche. Une voix murmure :
— « Elle est bonne ? »
— « Elle aide à se sentir vivre. »
Chaque semaine, c’est la douche où l’on s’entasse à cinquante pour douze pommes, et chaque fois il y a un pincement au cœur, car on sait qu’un simple inverseur transformerait la douche écos-saise en nappe de gaz mortelle. Nos bourreaux se contentent de variantes sur le supplice de la baignoire, s’amusant fort de nos ébats quand, de bouillante qu’elle était, l’averse passe à la tempé-rature des giboulées, ou que la glace se vaporise en jets brûlants. La joie est à son comble si l’un des partenaires des quadrilles s’effondre, terrassé par une crise cardiaque.